Légion étrangère - 2ème Régiment étranger de Parachutistes - La Bataille d'Alger

Legion Etrangere - Bataille d'Alger

La guerre a commencé en Algérie; depuis deux ans quand se déclenche, à l'automne 1956, la « bataille d'Alger ». Alors deuxième ville de France avec ses 884 000 habitants, Alger va vivre pendant une dizaine de mois dans la crainte des bombes et des attentats, mais l'offensive du FLN sera finalement brisée. La 10e division parachutiste du général Massu parviendra à éradiquer le terrorisme mais celui-ci aura contribué à élargir le fossé de haine et de méfiance séparant les deux communautés européenne et musulmane.

C'est à la fin du mois de septembre 1956 que la population algéroise, jusque-là relativement épargnée par la guerre - si l'on excepte quelques attentats FLN et contre attentats, notamment celui perpétré le 10 août dans la Casbah, rue de Thèbes, par un groupe contre-terroriste européen -, commence à vivre dans la psychose des bombes. Le 30, un engin explose, sans faire de victimes, dans la cour d'un immeuble du boulevard Pierre, mais ceux qui sont placés à Sa Cafétéria de la rue Michelet et au Milk Bar de la rue d'Isly, deux des cafés les plus fréquentés de la ville, font trois morts et soixante blessés, dont douze doivent être immédiatement amputés. Le 13 novembre, un engin placé dans un autobus fait dix-sept blessés dont deux grièvement atteints. Le même jour, une autre bombe déposée dans un Monoprix de Maison-Carrée fait neuf blessés graves supplémentaires. Quelques instants plus tard, c'est la salle d'attente de la gare d'Hussein-Dey qui est visée et dix blessés, dont quatre sérieusement atteints, viennent s'ajouter au bilan de sa journée.

Un autre engin - retrouvé dans le hall de l'hôtel Mauretania, qui fait fonction de terminal d'Air France -n'a pas explosé. Les bombes utilisées depuis le mois de septembre sont de conception identique et il apparaît clairement qu'un réseau terroriste a entrepris de déstabiliser la population algéroise.

Le même jour, six personnes sont également blessées à Hussein Dey alors qu'elles se trouvent au café de La Pergola. Une autre bombe fait deux blessés, mais trois autres sont repérées et désamorcées à temps...

Les engins, identiques à ceux utilisés le 30 septembre et le 13 novembre, ont été cette fois dissimulés dans des paquets de journaux. Un mois plus tard, le 28 décembre, Amédée Froger, premier magistrat de Boufarik et président de l'Association des maires d'Algérie, est assassiné rue Michelet au moment où il quitte son domicile. Le meurtre de ce notable, un ancien combattant de la Première Guerre mondiale très estimé au sein de la communauté européenne, déchaîne la colère et suscite un désir de vengeance. Ses obsèques sont malheureusement l'occasion d'une « ratonnade » qui, en frappant des innocents, ne peut que faire le jeu d'un FLN déterminé à creuser un fossé sanglant entre Européens et musulmans, à vider de tout contenu réel le projet d'une Algérie française fraternelle et ouverte à tous. Le scénario rodé un an plus tôt, en août 1955, lors des massacres du Constantinois, eux aussi suivis d'une répression aveugle, se rejoue dans les rues d'Alger...

Face à l'offensive terroriste, les autorités paraissent impuissantes. Empêtrés dans la fiction du «maintien de l'ordre» - dans la mesure où, officiellement, la France n'est pas censée conduire une véritable guerre en Algérie -, les services de police, contraints de respecter une législation et des procédures tout a fait inadaptées à la situation, sont complètement dépassés. L'enjeu de la lutte qui s'engage est d'autant plus important que le FLN entend poser la question algérienne devant l'opinion internationale, notamment devant l'Onu, pour y obtenir une condamnation de la « puissance coloniale », Au moment où la France vient de voir la victoire militaire obtenue sur le canal de Suez transformée en défaite politique par la volonté de l'URSS et de son « allié » américain, la rébellion peut marquer des points décisifs si elle réussit à mettre Alger à feu et à sang.

C'est dans ces conditions que le général Massu - commandant de la 10eme division parachutiste qui vient de rentrer de Chypre où elle était déployée à la faveur de l'action engagée contre l'Egypte nassérienne - est convoqué le 7 janvier 1957 par le gouverneur général Robert Lacoste qui lui confie la responsabilité du maintien de l'ordre sur le territoire du département d'Alger, en même temps que «les pouvoirs de police normalement impartis à l'autorité civile», le tout sous le contrôle du préfet Baret, en poste depuis moins d'un mois mais convaincu que seules des mesures d'exception permettront de briser l'offensive terroriste lancée par le FLN. Les pouvoirs confiés au compagnon de la Libération - à l'ancien de la 2e DB, qui a suivi Leclerc en Extrême-Orient avant d'être, en Indochine puis en Algérie, l'un de ceux qui ont forgé le « mythe para » - sont tout à fait considérables. Il peut contrôler la circulation des marchandises et des personnes, assigner à résidence d'éventuels suspects, établir le couvre-feu, ordonner des perquisitions de jour et de nuit pour obtenir la destruction de l'organisation politique de l'ennemi et briser son potentiel militaire. Pour mener à bien sa mission, il dispose des quatre régiments de sa division : le 1er régiment étranger de parachutistes, commandé par le colonel Brothier (bientôt remplacé par le lieutenant-colonel Jeanpierre). le 1er régiment de chasseurs parachutistes du colonel Mayer, le 3' régiment de parachutistes coloniaux du colonel Bigeard et le 2e régiment de parachutistes coloniaux, qui vient de s'illustrer brillamment à Port-Saïd sous les ordres du colonel Château-Jobert, le légendaire Conan, bientôt remplacé par le colonel Fossey-François. Il faut ajouter aux trois mille deux cents paras qui abandonnent les djebels pour les ruelles de la Casbah ou les grandes artères de la ville européenne, des éléments du 9e régiment de zouaves placés sous le commandement du capitaine Sirvent, des unités du 5e régiment de chasseurs d'Afrique du colonel Argoud, d'autres fournies par le 25e régiment de dragons, ainsi que quinze cents hommes des unités territoriales issues de la population européenne, un millier de policiers et à peu près autant d'hommes des compagnies républicaines de sécurité.

C'est avec ces forces que Massu est chargé de venir à bout du terrorisme qui, en ce même 7 janvier, fait une dizaine de victimes dans l'ensemble de l'Algérois. Il lui faut agir vite et obtenir pour cela les renseignements indispensables en interrogeant tous ceux qui, de près ou de loin, sont identifiés comme des sympathisants ou des complices probables des terroristes.

Il faut aussi les maintenir en détention sans les amener immédiatement devant la justice et en tenant à l'écart des avocats qui sont généralement acquis à la cause indépendantiste. Les nationalistes musulmans, déjà fichés par la police, et les communistes - l'un de ceux-ci, l'aspirant Maillot, a livré quelques mois plus tôt une cargaison d'armes au FLN avant d'être tué au combat peu de temps après, et c'est un Européen, Fernand Yve-ton, qui a tenté de faire sauter l'usine Hamma Gaz, le 14 novembre 1956 - sont particulièrement visés par les rafles et par les interrogatoires qui permettent de reconstituer rapidement l'organigramme adverse et d'identifier les principaux responsables. Dans le camp du FLN, la décision de porter la lutte dans Alger a été prise à la fin du mois d'août 1956, lors du congrès de la Soummam. Les principaux responsables de « l'intérieur » se sont retrouvés à la maison forestière d'Igbal, au cœur du pays kabyle. Ben Bella et Boudiaf - qui sont à « l'extérieur », le plus souvent au Caire - ont vu, alors, leur autorité contestée par Krim Belkacem, responsable des maquis de Kabylie, qui va devenir le véritable chef de l'ALN, par Ouamrane, responsable de l'Algérois, Ben M'hidi, venu d'Oranie, et Zighout Youssef, qui a organisé l'année précédente les massacres du Constantinois. Quelques semaines plus tard, le détournement sur Alger et l'arrestation par surprise, le 21 octobre 1956, de Ben Bella et de ses compagnons qui ont pris place à bord d'un avion de ligne marocain, les mettront de fait hors jeu, sans toutefois que cela profite aux combattants de l'« intérieur » - dont beaucoup disparaîtront au cours des années suivantes -, mais au grand bénéfice des chefs de l'ALN installés en Tunisie. D'importantes décisions ont été prises en ce mois d'août 1956, telles que l'organisation des diverses wilayas, la formation d'un Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) et, surtout, celle d'un organisme plus restreint, le Comité de coordination et d'exécution (CCE), véritable structure de commande-ment du mouvement révolutionnaire. Mais les chefs fellaghas ont également décidé de la création d'une Zone autonome d'Alger qui, distincte de la wilaya IV, four-nira le cadre territorial de la bataille à venir. Celle-ci est conçue par Abane Ramdane et sa mise en œuvre est confiée, sur le plan militaire, à Larbi ben M'hidi, deux hommes qui comptent l'un et l'autre parmi les plus brillants chefs du FLN.Le premier sera liquidé par ses propres compagnons en décembre 1957; le second sera exécuté par les militaires français après sa capture et son interrogatoire...

FRAPPER VITE ET FORT

Pour engager la lutte, Ben M'hidi dispose d'un peu plus d'un millier d'hommes et de femmes, dont Yacef Saadi, un ouvrier boulanger de la Casbah acquis depuis longtemps à la cause indépendantiste, Ali la Pointe qui a su rallier au FLN le « milieu » algérois, plusieurs femmes telles que Djamila Bouhired ou Zohra Drif, des Européens - comme Fernand Yveton, Danielle Minne, fille de militants communistes, ou Raymonde Peschard -, moins « visibles » quand il s'agira de déposer des bombes dans les quartiers de la ville européenne. Il a suffi de quelques semaines pour révéler la redoutable efficacité des réseaux terroristes mis en place par Ben M'hidi et les siens. A partir de janvier, ceux-ci doivent cependant compter avec l'action aussi brutale que méthodique des paras de Massu. Il apparaît rapidement que le FLN n'est pas à l'origine de l'attentat perpétré le 16 janvier 1957 contre le bureau du général Salan, qui a coûté la vie au commandant Rodier. L'affaire dite « du bazooka » n'est en fait que l'aboutissement de l'un des mul-tiples complots qui agitent alors certaines sphères politiques parisiennes liées à divers milieux activistes algérois. 11 suffit de quelques jours pour arrêter les auteurs de l'attentat mais les commanditaires, rapidement identifiés, n'auront jamais à rendre compte de leur forfait devant la justice...

Rassurés quant au fait que le FLN n'a pas pu s'attaquer ainsi directement au commandant en chef en Algérie, les parachutistes ne peuvent empêcher de nouveaux attentats. Le 26 janvier, des explosions se produisent à l'Otomatic et à la Cafétéria, rue Michelet, et au Coq Hardi, rue Charles-Péguy. Cinq Européens, dont quatre femmes, sont tués, quarante sont blessés, deux jours avant la grève générale annoncée par le FLN pour ponctuer le débat sur la question algérienne qu'a organisé l'Onu. Une grève que les hommes de Ben M'hidi entendent bien imposer à tous les musulmans, même s'il faut recourir pour cela à l'intimidation ou à la terreur. Le 27 janvier, deux bombes éclatent à Bab el-Oued, blessant deux policiers.

Pour faire face, les régiments de Massu frappent vite et fort. 11 n'y a pas encore, à l'époque, de formation spécifique à la contre-guérilla - celle qui sera donnée plus tard au camp Jeanne-d'Arc de Philippeville ou à Arzew - et il faut donc improviser « sur le tas » pour stopper la vague d'attentats et interdire au FLN de paralyser Alger. Les différents régiments se partagent les principaux quartiers de la ville et plusieurs centaines de suspects sont arrêtés sur la base des listes récupérées auprès des services de police, des suspects parmi lesquels se trouvent des assassins recherchés. On découvre aussi des armes et des explosifs. Le jour de la grève, le 28 janvier, les traminots et les éboueurs sont conduits au travail manu militari et les commerçants qui ont suivi les consignes du FLN en fermant leur magasin voient arracher leurs rideaux de fer par les treuils des véhicules militaires et se trouvent ainsi contraints d'accepter cette « ouverture » forcée. Dans le même temps, la France passe sans trop d'encombre l'épreuve du débat consacré par l'Onu à la question algérienne. Tout au long du mois de février, la pression sur les terroristes se renforce. Alors que, de jour comme de nuit, les paras visitent les maisons suspectes de la Casbah ou certains appartements des quartiers européens où les principaux chefs du FLN ont installé leurs « planques »; l'état-major de Massu organise méthodiquement le quadrillage d'Alger et le contrôle de la population. Le « patron » de la 10eme division parachutiste a auprès de lui plusieurs officiers qui mèneront rapidement à bien cette mission, en épargnant ainsi aux Algérois beaucoup de sang et de larmes. Parmi eux, un trio de choc est formé par le commandant Aussa-resses, le colonel Godard et le colonel Trinquier. Aussaresses est un ancien du 11eme régiment de parachutistes de choc, l'unité qui constitue le bras armé du Sdece, le Service de documentation extérieure et du contre-espionnage, et qui s'est spécialisée dans les « coups tordus » dont seront victimes de nom-breux chefs FLN, en Algérie ou à l'étranger. Godard vient lui aussi du 11eme Choc et, à la tête du secteur Alger-Sahel, il sera,une fois gagnée la bataille d'Alger, le principal artisan du maintien de la pacification.

Dans un style différent de celui d'un Bigeard ou d'un Jeanpierre, qui se sont révélés comme des chefs de guerre d'exception en Indochine et dans les djebels algériens,Trinquier, qui succédera bientôt à Bigeard à la tête du 3eme RPC, apparaît comme l'une des personnalités les plus remarquables parmi les colonels paras appelés à entrer dans la légende de la guerre d'Algérie. C'est lui qui, avec les montagnards indigènes du Tonkin et du Centre-Annam, a organisé en Indochine, sur les arrières du Viet-minh, des maquis dont l'efficacité s'est avérée remarquable. Il a compris que le succès reposerait, en Algérie, sur la capacité à contrôler et à s'attacher la population, véritable enjeu de la lutte engagée entre le FLN et l'armée française. Il met en place pour cela un Dispositif de protection urbaine (DPLJ) qui doit permettre d'identifier rapidement toute présence insolite en n'importe quel endroit de la ville. Des responsables d'immeubles et d'îlots sont tenus de renseigner les autorités sur tous les habitants qu'ils côtoient quotidiennement, sur les arrivées ou les départs suspects. Les résultats sont remarquables et c'est ainsi que Ben M'hidi, installé dans un quartier européen, pourra être arrêté. Un tel dispositif ne fera cependant sentir tous ses effets que dans une certaine durée. Or les attentats continuent. Le 8 février, une grenade est lancée dans un camion militaire rue Rovigo.

Le 9, une bombe placée au restaurant Le Joinville fait deux morts et onze blessés. Le 10, les attentats des stades font huit morts et trente blessés au Stade municipal d'Alger alors qu'au stade d'EI-Biar, deux explosions déclenchées à cinq minutes d'intervalle font un mort et quinze blessés. Lors de l'attentat du Stade municipal, l'un des spectateurs, Antoine Casanova, perd son fils de huit ans, sa belle-sœur et son neveu, alors que son fils cadet est grièvement blessé. Les réactions de la foule furieuse sont celles qu'attendaient les terroristes et,malgré l'intervention du 2eme RPC, des musulmans innocents sont pourchassés et plusieurs d'entre eux abattus. Face à ces nouveaux défis, les paras arrêtent, fouillent et interrogent sans relâche et obtiennent des résultats. Du 14 au 19 février, le 3eme RPC de Bigeard récupère soixante-sept bombes dont on imagine aisément les dégâts qu'elles auraient pu entraîner.

Les responsables de l'attentat du stade d'El-Biar sont arrêtés une semaine plus tard et l'on découvre 26 bombes, 46 grenades, et 36 revolvers. Des notables algérois considérés jusque-là comme sûrs par les Français sont arrêtés à leur tour. Parmi eux, le bachaga Boutaleb qui, ancien membre de l'Assemblée algérienne, très introduit dans les ministères parisiens, joue en fait un double jeu et renseigne le FLN. Arrêté le 21 février, Ben M'hidi se « suicide » le 4 mars, selon la version officielle, à l'issue de son transfert en prison : il a été en réalité exécuté par les militaires, qui ont appliqué les consignes données par le Gouvernement général et par Max Lejeune, le secrétaire d'Etat à la Défense du gouvernement Guy Mollet. Le 25,116 suspects sont appréhendés et contrôlés en l'espace de vingt-quatre heures. Au fur et à mesure que se développent leurs investigations, les officiers de renseignement des différents régiments parachutistes constatent l'implication fréquente d'éléments européens aux côtés des combattants du FLN. Des militants communistes ou chrétiens de gauche, des assistantes sociales, des ecclésiastiques, dont Mgr Duval, l'archevêque d'Alger, le propre maire libéral de la ville, Jacques Chevallier, entretiennent à l'évidence des relations avec les réseaux indépendantistes. Et c'est dans les quartiers européens que les membres du CCE se sont installés pour échapper plus sûrement aux rafles et aux contrôles. Les parachutistes ne sont pas disposés à ménager ces collaborateurs du FLN, mais l'étendue des compromissions est telle que le général Massu reçoit des consignes pour limiter les recherches dans cette direction. Le 11 mars, il donne des ordres en ce sens au colonel Jeanpierre qui commande le 1er REP :

« ...Poursuivre les filières FLN principales, conserver le souci d'éliminer les chefs, les collecteurs, les tueurs, empêcher la reconstitution des cellules démantelées et la reprise du terrorisme... Après le coup de semonce donné à certains milieux européens qui ont fait de la charité une interprétation abusive et antinationale, freiner les poursuites en ce qui les concerne, de façon à ne pas annihiler des efforts anciens et valables d'hommes et de femmes désintéressés sur le plan social. »

D'ores et déjà, le débat sur la «torture» a été engagé par une partie de la presse métropolitaine. Pour obtenir le renseignement nécessaire et éviter la poursuite des attentats, les « interrogatoires poussés » sont, de fait, devenus la règle. Dans de nombreux cas, il n'est cependant pas nécessaire d'en arriver là et les aveux des suspects - quand ils sont d'emblée confrontés avec ce que savent déjà les militaires ou ce qu'ils font mine de savoir - viennent assez facilement. Le « suicide » de Ben M'hidi, qui était un authentique combattant terroriste, ne soulève pas trop de questions. En revanche, celui de l'avocat Ali Boumendjel, mort le 12 mars dans des conditions demeurées suspectes (il serait tombé, prétend-on, du haut d'une terrasse), mobilise davantage ceux qui s'indignent des « dérives » que semble entraîner la lutte contre les poseurs de bombes. La disparition, au mois de juin suivant, de Maurice Audin, un enseignant rallié au FLN, et le témoignage du sympathisant communiste Henri Alleg, ancien directeur du journal Alger Républicain, apportent aussi de l'eau au moulin des partisans de l'indépendance. Les militaires ne contestent pas que la bataille d'Alger les a conduits à s'affranchir des règles de la guerre pour accomplir des besognes policières qui n'étaient pas de leur ressort. Ils font valoir cependant que ce « sale boulot » devait être accompli pour préserver des attentats la population algéroise. Ils n'ont fait également qu'exécuter les ordres du pouvoir politique, le gouvernement du socialiste Guy Mollet, le plus long de la 5eme République. Même s'ils affirment - comme Bigeard le dira plus tard - que la bataille d'Alger « c'était de la m... et du sang », ils pourront justifier par le résultat obtenu les méthodes utilisées. Le père Delarue, aumônier de la 10eme division parachutiste, a d'ailleurs clairement exprimé, au lendemain des attentats visant les stades d'Alger, ce que devait être l'attitude des officiers concernés :

« ...Entre deux maux, faire souffrir passagèrement un terroriste pris sur le fait et qui d'ailleurs mérite la mort en venant à bout de son obstination criminelle par le moyen d'un interrogatoire obstiné, harassant, et, d'autre part, laisser massacrer des innocents que l'on sauverait si, par les révélations de ce criminel, on parvenait à anéantir le gang, il faut sans hésiter choisir le moindre : un interrogatoire sans sadisme, mais efficace. L'horreur de ces assassinats de femmes, d'enfants, d'hommes dont le seul crime fut d'avoir voulu, par un bel après-midi de février, voir un beau match de football, nous autorise à faire, sans joie mais aussi sans honte, par seul souci du devoir, cette rude besogne si contraire à nos habitudes de soldats, de civilisés. Le but de la justice est double : punir les coupables, décourager tous ceux qui sont tentés de les imiter. Il suit de là qu'on a le droit d'interroger efficacement, même si l'on sait que ce n’est pas un tueur, tout homme dont on sait qu'il connaît les coupables, qu'il a été témoin d'un crime, qu'il a sciemment hébergé un terroriste, s'il refuse de rêvé1er librement, spontanément ce qu'il sait. En se taisant, pour quelque motif que ce soit, il est coupable, complice des tueurs, responsable de la mort d'innocents pour défaut d'assistance à des personnes injustement menacées de mort. De ce seul fait, il n'a qu'à s'en prendre à lui-même s'il ne parle qu'après avoir été efficacement convaincu qu’il devait le faire. En venant ici, vous aviez accepté le risque de vous faire tuer pour assurer la protection des honnêtes gens, qu'ils soient musulmans ou européens. Le terrorisme urbain vous impose de plus une besogne moins conforme à vos goûts de soldats... A circonstances exceptionnelles - et pour aussi longtemps qu'elles seront telles - tâches exceptionnelles... »

VICTOIRE À ALGER, DÉFAITE À PARIS

En quelques semaines, l'offensive terroriste est, quoi qu'il en soit, enrayée. Les adjoints de Massu ont reconstitué tout l'organigramme de l'Organisation politico administrative mise en place par le FLN sur la Zone autonome d'Alger. Les chefs et les exécutants sont presque tous identifiés et doivent se terrer, condamnés à une clandestinité de plus en plus problématique, au fur et à mesure que le DPU de Trinquer permet de « loger » l'adversaire à arrêter. Dès le mois d'avril, la tension se relâche et seul le 1er RCP demeure dans Alger, les autres régiments parachutistes reprenant la route du bled pour ne plus assurer qu'une présence tournante dans la ville. Quand le gouvernement Guy Mollet est renversé, seize mois après son investiture, la situation s'est considérablement améliorée et la révélation du massacre de Melouza, perpétré par les bandes du FLN contre un village musulman qui lui était hostile, vient sérieusement ternir l'image de la rébellion algérienne, d'autant que plusieurs dizaines d'autres victimes viennent s'ajouter, en différentes régions du pays, aux 338 morts de Melouza. Le cauchemar des Algérois n'est pourtant pas encore terminé. Plusieurs chefs locaux du FLN sont toujours « dans la nature », à commencer par Yacef Saadi et Ali la Pointe, qui conservent la capacité de réaliser de nouveaux attentats. Le 3 juin, des bombes dissimulées par de faux agents de l'EGA dans des lampadaires proches d'arrêts d'autobus font huit morts et près d'une centaine de blessés, presque tous musulmans. Le 9 juin, c'est le terrible attentat du Casino de la Corniche. Le bilan est particulièrement lourd : neuf morts, quatre-vingts blessés dont dix doivent être amputés. Deux jours plus tard, lors des obsèques des victimes, il n'est pas possible de contenir la colère de la foule et des musulmans innocents sont une nouvelle fois victimes de son aveugle volonté de vengeance. Le jour même, les pouvoirs de Massu sont encore accrus et les régiments paras partis d'Alger quelques semaines plus tôt y reviennent avec mission d'éradiquer définitivement le terrorisme. Le 25 juin, la découverte d'une cache permet de récupérer trente-trois bombes, ce qui confirme la persistance de la menace.

De nouveaux engins explosent effectivement le 18 juillet. A la fin du mois d'août, Kamel et Mourad, deux poseurs de bombes, sont localisés dans la Casbah et abattus au moment où ils tentent une sortie. On découvre dans leur cache une trentaine de bombes. Le 2 septembre, Yacef Saadi et Zohra Drif sont arrêtés par le 1er REP. Le 8 octobre, le repaire d'Ali la Pointe est cerné, rue des Abderames, au cœur de la Casbah. La charge d'explosif utilisée pour forcer l'entrée fait sauter le stock de bombes entreposé à l'intérieur et tout le bloc d'immeubles s'effondre.

Il faudra plusieurs jours pour retrouver dans les ruines, avec beaucoup d'autres, le cadavre du chef terroriste. Les derniers militants algérois sont pris les uns après les autres, alors que le Groupe de renseignement et d'exploitation (GRE) du capitaine Léger entreprend d'infiltrer les réseaux FLN et d'y semer le doute pour pousser l'adversaire - tétanisé par la crainte obsessionnelle des trahisons - à multiplier les épurations internes. Bientôt, la «bleuite» décimera les meilleurs cadres du mouvement insurrectionnel. Quelques semaines plus tard, à la fin du mois de novembre 1957, un convoi rebelle faisant route vers la Tunisie est intercepté et détruit dans le Hodna. Raymonde Peschard est tuée au cours de l'accrochage, alors que Danielle Minne et les poseuses de bombes du Milk Bar sont faites prisonnières... Un an après son déclenchement, la bataille d'Alger se termine sur une victoire incontestable de l'armée française. Les réseaux terroristes ont été démantelés et le contrôle établi sur la population peut perdurer et garantir contre toute nouvelle tentative de l'adversaire. Transformées en forces de police et de maintien de l'ordre, les unités de la division parachutiste n'ont enregistré que des pertes insignifiantes alors que tout le dispositif adverse a été annihilé. Un an après l'arrestation de Ben Bella et de ses compagnons, le FLN connaît un nouveau revers et l'échec subi au cours des mois suivants, lors de la bataille de la frontière tunisienne, ne va pas améliorer sa situation. Il apparaît dès ce moment que ses seules chances de victoire résident dans le fait de réussir à « durer » sur le terrain - même si c'est de manière très limitée - et de mobiliser suffisamment l'opinion métropolitaine et internationale en sa faveur. La bataille d'Alger avait été gagnée par les parachutistes, mais c'est à Paris qu'allait à l'évidence se gagner ou se perdre la guerre d'Algérie.