Légion étrangère - 2ème Régiment étranger de Parachutistes - Bou Sfer
Legion Etrangere - 2eme Rep - Bou-sfer

Y’avait la-bas en Algérie
Un régiment dont les soldats
Dont les soldats
A chaque instant risquent leur vie
Parachutistes nous voilà, oui nous voilà
Pour faire partie de cette élite
Il faut bien être un peu cinglé
Il faut surtout pas s’faire de bile

(chant de tradition)

                Bou-Sfer camp Commandant Segretain en GX 87 A 4142 43. Echelle 1/50.000 Carte Oran feuille N° 153-B9-C6.Un élément relevé tous les huit jours, occupe les deux points suivants de la ligne de défense du Murdjadjio en GX 86 D 92 et GX 87D 02.

Un centre de perfectionnement cadre en GX 77 B2

Un centre d’instruction combat de nuit installé au bordj Sidi Bou Ameur en GX 87 G 12

Un centre amphibie installé en GX 77 1 52.


Voilà pour la situation géographique.

Un champ de vignes entre Bou-Sfer plage et Bou-Sfer village à 30 km d’Oran. Le Régiment le plus décoré et le plus méritant de l’Armée française, échoue dans un cloaque de boue. La décision de l’Etat-Major est une décision honteuse, qui ne lui fait pas honneur.

Le colonel Chenel qui vient de sauver le Régiment après le putsch d’Alger ne baisse pas les bras et commande l’arrachage des vignes à la pelle et à la pioche. L’état-major aurait pu mettre à disposition du 2ème REP des moyens modernes avec des engins de génie qui étaient en dotation à la base de Mers-El-Kébir mais il ne le fait pas, laissant aux 1200 légionnaires du 2ème REP le soin d’aménager leur camp. Les légionnaires sous l’impulsion de Chenel, dressent leur tentes de fortune et dans cet hiver particulièrement rude ou le thermomètre descend très largement en dessous de zéro, aménagent ce qui sera leur camp jusqu’en.


« Vivre sous tente va être intenable, l’hiver sera un des plus durs de toute l’histoire du régiment. Ce n’est qu’une suite continue d’averses torrentielles qui transforment le camp en bourbier et les chantiers en marécages. Pendant 6 mois c’est une lutte continuelle contre la pluie et contre l’érosion qui souvent détruit en 1 jour le travail d’une semaine.

Malgré cela les travaux avancent, le futur quartier prend peu à peu forme » Pour remplacer les tentes Chenel ordonne aux légionnaires d’exécuter le système de la débrouille le fameux « demerdieren » si souvent employé à la Légion.

Quand l’intendance ou le génie sont incapables de nous octroyer le minimum on « l’emprunte » ailleurs ! C’est un travail que les légionnaires aiment exécuter. Les baraques sont démontées dans de petites garnisons puis convoyées par train jusqu'à Bou-Sfer ou elle sont remontées pièce par pièce.

Pour combler le cloaque des milliers de mètres cubes de rochers sont déversés au beau milieu de cet ancien champ de vigne transformé en bourbier.

« prenez en partout dit-il a ses officiers. Ça fera des histoires, je m’en fous ! Il faut que vous rapportiez de quoi surélever les emplacements des guitounes, de quoi empierrer les allées du futur camp »

Les légionnaires parachutistes ne lésinent pas. Des cailloux et des pierres ils en trouvent, et en quantité, et se mettent à bâtir, mais quelques mois après en novembre 62 les premiers nuages crèvent au-dessus de Bou-Sfer et y déversent en quelques heures des trombes d’eau, le camp reprend aussitôt l’aspect d’un marécage.

« Un fois de plus la Légion se retrouve seule face a ses problèmes. Mais quand le matériel qui lui fait défaut est entreposé dans les magasins de l’Intendance ou du Génie il lui échappe rarement Question de doigté. Question de volonté. Et puis s’il le faut question de passe-partout ! Comme disait le Père DE LATTRE « Les magasins ne sont pas faits pour le bonheur des magasiniers ! » Ils doivent servir au bien-être de la troupe.

« Dans quel cerveau borné ou malveillant l’idée d’installer ici l’un des plus beaux régiments de l’Armée française a-t-elle pu jaillir? Quel officier d’Etat-major a pu proposer un tel campement ? »
L’hiver 1962-1963 sera encore un très dur hiver pour les légionnaires sous la tente, dans la pluie et dans le vent.

« Un calvaire diront ses cadres »

La débrouille et les rapines continuent puisque le haut commandement a promis tout le matériel mais n’a jamais donné l’ordre de le distribuer.

Le Lieutenant Dutailly remarqua un jour qu’une noria de camions bennes déversait des milliers de tonnes de ciment pour la construction de l’aérodrome de la base de Bou-Sfer

-Pouvez-vous me trouver un camion benne ?

-Un camion benne s’exclama Andreoli-Oui s’exclama le lieutenant semblable a ceux du génie

            -Je vais vous trouver ça mon lieutenant répondit Andreoli qui avait compris la manœuvre

 

« Quarante huit heures plus tard un camion benne dont la plaque minéralogique a soigneusement été maquillé est confiée à un légionnaire déguisé en soldat du génie.
A chaque carrefour le camion benne des légionnaires s’introduit dans la noria des camions du génie, charge les sacs de ciment, et les déverse au camp Raffali.

Les 20 tonnes de ciment empruntées au Génie, seront utilisés pour construire l’immense place d’arme du camp Raffali.

Trente trois ans après, j'ai du mal à écrire ces quelques lignes ou chapitres concernant l'Algérie.

Ce fut une période dure en efforts, physiquement et moralement. Brimades et punitions en tous genres tombèrent dru. Physiquement ce fut un enfer. ….. pendant des années, jusqu'à ce que la volonté devienne inébranlable devant l'effort.

Il me faudra pendant trois ans "vivre" les situations les plus dures et les plus insurmontables, pour que les efforts physiques et les souffrances morales puissent être subits sans difficulté particulière.
Je suis obligé de faire un gros effort sur moi-même pour l'écrire, les cicatrices ne sont toujours pas refermées.

Mon apprentissage et mon dressage ont été laborieux. J'ai déjà fait plusieurs démarches, je me suis engagé, j'ai fait mes classes, j'ai choisi le deuxième Etranger de Parachutistes, j'ai reçu la plaque à vélo, j'ai été affecté à la 4ème compagnie, 1ère section, j'ai déjà plus d'un an de service et il va falloir que j'apprenne mon métier de Légionnaire Parachutiste. C'est un métier, le métier des armes. Le but est d'être un soldat de métier.

Je crois avoir tout compris, je n'en suis qu'au commencement. de ces années Algériennes passées, à la 4ème compagnie, d’abord comme « sniper » , puis adjoint du Commandant Meudec au stage « sabotage ».

Meudec avait besoin d’un légionnaire pas trop con, ni trop intelligent pour l’aider dans l’enseignement et les préparations des cocktails explosifs.

A longueur de journées je préparais donc les ustensiles et les dosages des poudres noires, dynamites, explosifs nitratés, des chlorates, dynamite gomme, balistites, mélinite.

Sans allumeur l’explosif ne peut fonctionner, Meudec confectionnait donc les allumeurs instantanés à percussion et à ignition, les allumeurs à retard à rupture de plomb, chimique, pyrotechnique ou à mouvement d’horlogerie, ainsi que les télécommandés.

Les différents types de grenades offensives, pétards, au carbure, à fusil, au plastique et surtout les artisanales confectionnées avec du chlorate de potasse, de résine de pin, et de sucre en poudre versé dans un récipient fermé par une rondelle de feutre au-dessus duquel était placé un flacon de verre rempli d’acide sulfurique.

L’enseignement dispensé par Meudec portait essentiellement sur la formation de la guérilla, survie en zone d’insécurité, aptitude à se diriger sur le terrain, pratique des destructions, fabrication d’explosifs artisanaux et connaissance des armes étrangères, montage et préparation des coups de main, embuscades, et destructions en tout genre.

Tout ce qui pouvait être inflammable artisanalement était employé, l’alcool, l’essence de térébenthine, le White spirite, l’acétone, le mazout, le pétrole, épaissis rudimentaire ment par des rognures de caoutchouc, du latex, des lessives, et des détergents gras.
L’école de la guérilla.

J’avais comme adjudant de compagnie l’adjudant-chef ABSTEIN, Légion d’Honneur, médaille militaire, et de nombreuses « palmes » récoltées en Indochine et en Algérie, un des Maréchaux de la Légion» Abstein est en fin de carrière, je crois un peu dégoûté, par la nouvelle tournure du régiment, qui ne ressemble plus aux combats qu'il a connu en Indo et en Algérie.

Abstein est un adjudant chef de compagnie pour lequel j'ai beaucoup d'admiration. Juste, d'une intégrité morale au-dessus de tout soupçon. Abstein inspire le respect, son autorité paternaliste est reconnue de tous, c’est un homme qui parle peu, avare de ses phrases.

 

 

 

En Algérie dans le djebel

Un Légionnaire monte la garde

Auprès de son camarade

Touché à mort par une balle rebelle

C'est une des nombreuses figures du Régiment, il fait partie des "Maréchaux de la Légion".
Le capitaine Charrot est petit de taille, sec comme une branche, ancien dans son grade, il a servi de nombreuses années à la Légion notamment je crois au 4ème Régiment Etranger d'infanterie, au Sahara. C'est un homme effacé, loin des capitaines forts en gueule de certaines compagnies, profondément humain, dans son comportement et ses décisions.

Ces deux personnalités fort différentes, une discrète celle de Charrot, et l'autre paternaliste celle d'Abstein, laissent la place à une extrême rigueur de la part des sous-officiers et des caporaux. Un avantage engendre toujours d'autres inconvénients, et le légionnaire n'est pas forcément gagnant.

Je suis à la 4ème compagnie, à la 1ère section, commandée par le lieutenant Marescaux, puis plus tard par le lieutenant Bräun. Mais surtout administrée par le sergent Colette, une figure du Régiment, ancien du 1er Régiment Etranger de Parachutistes. Colette est certainement le sous-officier du Régiment le plus fort en gueule, c'est également celui qui totalise le plus d'arrêts de rigueur. Ses conneries sont célèbres dans tout le régiment. C'est un athlète, très bien physiquement, le play-boy du Régiment, une sorte de Térence Hill du 2ème REP.

De nationalité belge, ce qui est un avantage pour un francophone que je suis, les francophones regroupant les Français, sous nationalité monégasque, les Belges, les Suisses nombreux à la Légion, les Luxembourgeois, et tous les bronzés de Madagascar, la Réunion et autres îles environnantes.

Il n'y a cependant pas, à l'époque, d'algériens, de Tunisiens ou de Marocains, la porte de l'engagement leur restant fermée. Colette est dur dans la discipline, souvent injuste, mais c'est un personnage d'une telle drôlerie, qu'il nous fait oublier ses colères et ses punitions souvent non méritées. Une forte personnalisée, très forte personnalisée, un des sous officiers les plus attachants que j'ai connus.

Camarade, toi mon pays

Je vous quitte sans regret

Volontaire j’ai bien servi

Avec honneur et fidélité.

Beaucoup d'aura, un meneur d'hommes, rempli de défauts mais à qui on pardonne tout.
Collette fera toute sa carrière au 1er et 2ème REP, dans les unités Parachutiste de la Légion, pendant une vingtaine d'années, dans les troupes aéroportées.

Colette, est un des premiers C.R.A.P.S.(commandos de recherche et d'action en profondeur du Régiment) l'élite de l'élite du REP. Revenu à la vie civile, il épousera je ne sais quelle milliardaire, propriétaire sur toute la France d'une chaîne de magasins de chaussures, et se retirera à Lumio, à quelques kilomètres de Calvi, base arrière du Régiment.

Profondément attaché au Régiment, il disjonctera, en vivant mal, une retraite prise trop jeune, après vingt ans de service dans les troupes aéroportées de la Légion Etrangère.
Colette rengagera pendant quelques années comme mercenaire au service d’un pays africain, dans la garde présidentielle, du Gabon composée d’anciens Légionnaires du 2ème REP, commandée par deux illustres Généraux, l’un ancien capitaine du 1er REP, l’autre ancien commandant (un de mes anciens supérieurs cité dans le bouquin) que je ne peux nommer.

A ce jour cette garde présidentielle composée d’une centaine d’anciens légionnaires du REP existe toujours…

Colette, de sa maison de Lumio, qui domine le camp Raffali, observe à longueur de journées, avec ses jumelles, ce qui se passe au Régiment, se réveille au son du clairon, et déboule le soir (après avoir éclusé toute la journée) au foyer des sous-officiers où il fait un scandale tous les soirs.

Au bout de quelques années, le Président des sous officiers ou le Colonel, lui interdiront le mess. Collette pète alors les plombs. Dans sa tête il appartient toujours aux effectifs du Régiment, il est encore d'active, alors qu'il est à la retraite. Profondément militaire, toujours militaire. Un dernier coup d'éclat fera basculer Colette dans sa paranoïa.

Alors que l'alerte est sonnée pour l'intervention de Kolwezi, que les sirènes du Régiment hurlent, Colette, de Lumio ou il habite sur la petite colline surplombant le Régiment, entend l'alerte, téléphone au P.C du Régiment ou on lui confirme que le Régiment est appelé à sauter sur Kolwezi.
Colette, enfile sa tenue camouflée, chausse ses rangers, met ses brelages, prend son arme une A.K47 Russe, ses chargeurs, ses munitions, son sac à dos et ses affaires réglementaires, coiffe son béret vert, et fonce dans sa voiture, vers la base. Arrivé devant le poste de Police dans cet accoutrement, le sous officier et l'officier de permanence lui refusent l'entrée du camp:

"-Je rengage, je pars avec vous". Colette est rayé des cadres depuis longtemps, et cette démarche quoique ne manquant pas de panache est impossible.

Colette menace tout le monde de son AK 47 Russe chargeur et balle engagée dans la culasse, jusqu'à l'arrivée de la Police militaire, qui ne fait jamais aucun cadeau. Malgré cela la P.M., qui en a vu d'autres, maîtrise Colette et le reconduit à Lumio sous bonne garde.

Le régiment part pour Kolwezi et réalise l'intervention militaire exceptionnelle que tout le monde connaît. Colette vivra mal le fait qu'un sous officier de sa valeur n'ait pu prêter main forte au Régiment et se suicidera d'une balle dans la tête. Triste fin, quand on a connu l'adjudant chef Colette, qui avait été de tous les coups durs du Régiment, pendant de si nombreuses années. On a du mal à croire qu'il en soit arrivé là, lui qui respirait la joie de vivre. Colette mort et dans ces circonstances, c'est impensable. Il n'avait jamais pu se passer du Régiment.

Un légionnaire quand il tombe

Quand il a fermé les yeux

Il repose en Algérie

Dans le djebel une croix le dit.

Le sergent Fisher est un Autrichien, Teuton et Prussien jusqu'au bout des ongles. "Service, service" comme on dit à la Légion, "schnaps, schnaps..." ce qui veut dire que dans le service il n'y a aucun laisser aller, mais qu'en dehors du service, il a un petit penchant pour le Pernod et la Kronenbourg. Tout l'art d'un bleu que je suis mais qui a déjà près d'un an de service, consiste donc à ne pas se trouver dans son collimateur quand il a bu plus que de raison, surtout qu'il n'a pas un amour immodéré pour les Francophones.

Autrement dans le service, c'est quelqu'un d'exigeant, dur, précis, qui applique les ordres de Charrot et d'Abstein à la lettre, ainsi que les traditions du REP. L'officier qui commande la section est un personnage plus falot, le Lieutenant Marescaux Sa "seigneurie" sort de Saint-Cyr, certainement dans les tous premiers pour avoir été muté au REP, il a été bien nourri toute sa vie dans une famille de militaires, ne connaît que ce que l'on lui a appris à Saint-Cyr, c'est à dire beaucoup de choses mais ce n'est pas suffisant pour être accepté par les légionnaires et être un officier Légion. Il prend beaucoup d'arrêts de rigueur, dont la majorité sont dus aux peaux de bananes que le sergent Colette lui met sans arrêt dans les pattes, avec un malin plaisir, et se fait engueuler quotidiennement par le Capitaine Charrot.

Grâce à lui et à ses erreurs quotidiennes, nous faisons toujours quelques kilomètres de plus dans la montagne découlant de ses erreurs de topographie, car il a des difficultés à lire les cartes d'Etat Major. En quelques sorte c'est un bleu, comme moi et il apprend son métier, comme je le fais, et il faudra de nombreuses années de grade de Lieutenant pour qu'il fasse son boulot convenablement. On ne mène pas une section de Légionnaires Parachutistes, avec toutes les particularités et les singularités que cela comporte, comme une section de militaires du contingent, appelés sous les drapeaux, lors de leur service militaire; c'est autrement plus difficile.
Voila une rapide description des officiers et sous officiers à qui je devrais dorénavant obéir aveuglément, sachant que toute incompréhension, toute mauvaise interprétation, tout ordre non exécuté à la lettre ou imparfaitement exécuté sera lourdement sanctionné.
L'implacable machine de dépersonnalisation de l'individu et de lavage de cerveau est en route, comme la Légion et le 2ème REP savent si bien le faire. Le résultat obtenu devra être un Légionnaire Parachutiste en mesure d'exécuter n'importe quelle mission, en tous lieux, dans n'importe quel territoire, avec comme objectif de réussir cette mission, quelques soient les pertes ou les souffrances, sans aucune aide ou logistique, si ce n'est l'approvisionnement des armes et des munitions.

Pour la difficulté et la réussite de la mission, apprendre à ne compter que sur soi même, et faire confiance à ses chefs.

 


2rep Livre Roro  LES CAPORAUX

La section

Comme toute société bien construite, que ce soit chez le primate, le chien ou l'homo sapiens, il y a les dominants et les dominés, c'est une question de force et de pouvoir.

Les ordres partent d'en haut, de l'Etat Major, sur la petite montagne où est situé le P.C, entièrement construit à la pelle, à la pioche et à la brouette, dominant la cuvette encaissée entre la mer et la montagne, un travail de titan. Des millions de brouettes remplies de cailloux ont créé cette montagne artificielle.

Le colonel Caillaud et ses adjoints (les commandants De Biré, No Mura, etc. ) élaborent les objectifs du Régiment, puis les commandants de compagnie planifient et expliquent aux officiers ou sous officiers commandants de section les opérations à exécuter. Reste le plus important, c'est-à-dire la vie entre hommes et le travail ou les missions, à l'intérieur de la section. C'est le travail des caporaux, les "kapos".

À la différence de l'officier commandant la section et des sous-officiers responsables, les caporaux vivent vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec les hommes du rang, soit dans la montagne à quelques jours de marche, de Bou-Sfer, soit dans ces baraques en tôle rudimentaires qui nous servent d'habitation, torrides l'été et glaciales l'hiver, c'est tout ce qu'a trouvé le Ministre pour nous servir de toit. Les caporaux sont la bête noire du "bleu" que je suis. A eux de faire respecter la discipline, qui ne se relâche jamais, et de maintenir la tradition.

Article premier: le chef a toujours raison

Article deux: si par extraordinaire, le chef n'avait pas raison, l'article premier entrerait immédiatement en vigueur

Malgré le fait que ce soit également un homme du rang, ses galons de caporal lui permettent, je dirai presque en permanence, d'avoir droit de vie ou de mort sur nous. Il faut savoir que la discipline est d’ordre Légionnaire ou régimentaire, et qu’en aucun cas une réclamation ne peut-être constituée c’est la tradition. En cas de désaccord il n’y a que deux solutions possibles, la désertion ou le suicide.

Pour obtenir ces deux sardines sur le revers de sa tenue camouflée, le caporal a été choisi pour sa forte personnalité. A à l'intérieur de la section, il doit en effet posséder en tout premier lieu la force brutale et physique qui lui permettra, une fois passé son peloton d'élève caporal, (4 mois de peloton) de diriger une section, et de s'imposer à elle, afin que les ordres soient bien exécutés et que les situations explosives génératrices de conflits entre les hommes du rang ne dégénèrent pas. Pour réaliser ce projet l'élève caporal, à la différence des autres unités Légion, fait son peloton de caporaux à Lindless ou PK7, à quelques kilomètres du camp, d'où il ne redescendra que quelques mois après, muni de ses galons.

Pendant ces quelques mois d'isolation, il subira alors une nouvelle dépersonnalisation chargée de le débarrasser de sa personnalité d'homme du rang, pour celle de caporal.
Désormais, il devra apprendre à donner des ordres et à veiller à ce qu'ils soient exécutés, et non plus en recevoir. Lindless est une formation extrêmement dure où à tout moment l'élève caporal peut être renvoyé au Régiment, pour la plus petite négligence, et dire ainsi adieu à ses galons définitivement. En plus de cela, il se perfectionnera dans toutes les disciplines du métier. A l'issue de ce stage de caporal et compte tenu de l'enfer de ce qu'il a subi, le caporal "shooté" redescendra au Régiment, changera de compagnie, de section, et devra dans les toutes premières heures, dans les tous premiers mois et pendant des années, veiller à ce que son autorité ne soit jamais contestée, et que son grade de dominant ne soit jamais pris en défaut. Ce n'est pas facile car il y a de fortes personnalités, à l'intérieur de la section, et son autorité ne devra jamais être prise en défaut. Une particularité des rapports existants entre le caporal et le Légionnaire est le vouvoiement, il est de rigueur, il est obligatoire, c'est une marque de respect, par contre le caporal tutoie le Légionnaire.
Cela a l'air d'un détail, mais cela mesure exactement les rapports d'obéissance que nous devons aux capos et le fossé qui nous sépare de leurs deux" sardines" accrochées à leur veste de tenue léopard. C'est une tradition au deuxième REP. Cela peut sembler curieux pour ces hommes qui vivent entre eux pendant des années, et cela n'existe pas dans l'armée régulière où caporal et simple soldat ne font pratiquement pas de différence.

Le caporal est chargé de la propreté méticuleuse de nos baraques qui servent de lieux d'habitation. Autant ces baraques sont des plus sommaires à l'extérieur, autant à l'intérieur règne l'ordre le plus total. Pour enlever la poussière de l'été et la gadoue que nous traînons en permanence l'hiver, le béton est ciré à longueurs de temps après la fin de la journée par les bleus (entre un an et trois ans de service) et luit comme un miroir. Le paquetage, comme à l'instruction, est rangé "au carré", au millimètre près, chaque effet s'empilant l'un sur l'autre, jusqu'à ce que la pile de nos vêtements arrive au sommet ou trône le képi blanc, les épaulettes, et la ceinture bleue. Les armoires sont maintenues ouvertes en permanence. La brosse et le chiffon trempé dans de l'huile de lin font reluire nos armoires, sans qu'il ne doive jamais avoir nulle trace de poussière.Une des principales tâches du caporal est de désamorcer les conflits.

La promiscuité, dans laquelle nous sommes, est génératrice de ces nombreux problèmes mais jamais durant le service, c'est à dire en "droppant le djebel". Dans ces moments où l'effort physique nous intime l'ordre d'aller plus loin (au-delà de nos possibilités), règne la camaraderie la plus totale, sous forme de binômes, untel aidant l'autre dans un moment difficile, quitte à porter en sus de son paquetage l'arme et le paquetage supplémentaire du Légionnaire en difficulté. Sur ce point, l'osmose se fait pour le bien du service, mais rentré au camp, au bout de quelques jours de marche, les conflits éclatent et c'est au caporal de les désamorcer ou de mettre une tête au carré à un tel ou à un tel.

Par la simple démarche de s'être engagé dans la Légion, nous étions tous bien avant l'engagement des asociaux, des caractériels, des inclassables qui n'admettent aucune autorité. Le mélange des nationalités, des races, des différences en est encore plus difficile.
Seule la peur de la sanction, qui est toujours lourde à payer physiquement quels que soit sa forme (la Légion en ayant inventé de nombreuses variantes), empêche le chaudron d'exploser.
Les mous doivent se transformer en durs, et les durs en moutons.

Cela ne se passe pas toujours comme ça, car il y a des cas désespérés, sûrs de leur force, qui résistent.Si un caporal n'y arrive pas, l'intéressé se retrouvera avec autant de caporaux nécessaires pour le ramener à la raison. Les fortes têtes ne font jamais la loi. La discipline aura toujours le dernier mot, le caporal aussi.

Tombeau, pelote, corvées, revues de détail pendant des nuits entières, têtes au carré, brimades sévices en tout genre ; la liste est longue et peut se transformer en cauchemar pour la forte tête, sans que le sous officier, l'officier ou le commandant de compagnie en soit tenu au courant. Il n'y a pas de réclamations!!. Jamais de plaintes. On ne s'excuse jamais. Quand on a manqué à un ordre ou à la discipline, la sanction tombe, c'est trop tard. Il n'y a pas de pardon; excusez moi est un mot absent du dictionnaire des Légionnaires.

 

En dessous du caporal, il y une autre caste: celle des premières classes qui n'est pas un grade mais une distinction, caractérisée par une "sardine" verte cousue sur la tenue léopard.
Pour accéder à cette distinction, il faut au minimum trois ans de service, souvent plus et certains font carrière ( quinze ans) avec cette unique distinction, avant de partir à la retraite, ce qui ne veut pas dire que ce sont de mauvais soldats, mais qu'il y a eu de nombreux accrochages dans le service ou que l'individu n'est pas apte ou n'a pas les qualités nécessaires pour accéder au peloton de caporal.
Pour mémoire, mon ami X, un espagnol dont je m'occupe dans le civil, le Légionnaire le plus décoré du Sud-ouest, a terminé sa carrière de dix ans de service avec le grade de 1ère classe, après avoir fait la guerre en Cochinchine, en Centre Annam, au Cambodge, et jusqu'à la frontière de Chine, deux séjours en Indochine.

Cependant, il a la médaille militaire, sept citations dont deux palmes, citations à l'ordre du régiment, de la division, et des Armées, a fait Dien Bien Phu sur Gabrielle, défendu par le troisième commando de la treizième demi-brigade de la Légion, a été porté disparu, a été fait prisonnier par les viets, a fait partie des dix mille prisonniers emmenés dans les camps viets dont seulement quatre mille sont revenus vivants, puis terminé ses dix ans en Algérie. Il est actuellement proposé pour la Légion d'honneur qui lui sera probablement accordée après dix ans de carrière comme première classe.

Il n'y a qu'à la Légion Étrangère que l'on peut observer ce genre de carrière. Après de dures années de service beaucoup d'entre nous n'accéderont jamais à cette distinction et termineront comme deuxième classe, pour différentes raisons.

Cette distinction de première classe permet d'être exempt de corvées et d'avoir un minimum de tranquillité vis-à-vis des caporaux, qui les respectent.

La hiérarchie des dominants et des dominés est ainsi respectée.
Tout en bas de l'échelle figurent les bleus et les 2ème classes, qui n'ont aucun droit, et qui trinquent à longueurs de journées, et de nuits blanches, n'accédant pas ainsi aux périodes de repos, de quelques heures, qui succèdent aux périodes de "crapahut" ou de corvées "pelle et pioche"
En dehors des périodes où on ne "sue par tous les pores du burnous" la traversée du djebel par les montagnes, la pelle et la pioche figurent au programme de tout bon Légionnaire car celui-ci est en premier un guerrier, mais également un bâtisseur, c'est une tradition de la Légion depuis sa création.
Tous les travaux sont fait à la pelle et à la pioche, les engins modernes dont l'armée dispose ne rentrent pas au quartier.Tout à l'huile de coude.

Cela permet aux bleus de ne pas réfléchir car l'inactivité du Légionnaire est un mot, banni du vocabulaire Légionnaire, la pelle et la pioche l'empêchent de réfléchir et de provoquer ce que l'on appelle "le cafard du Légionnaire" .

Le légionnaire est difficile à connaître et à comprendre, mais si facile à commander. Il est venu pour servir, peut-être même pour se faire tuer. Il obéira donc. Des qu’il a coiffé le képi-blanc, l’esprit de corps magique qui est attaché à ce chiffon s’empare de lui.

Partout ou elle est, la légion veut faire ce qu’il y a de plus pénible et de plus périlleux, de plus réputé c’est la vanité dira-t-on de la gloriole ? J’aimerais que ceux qui le prétendent et il sont nombreux dans ce cercle de matérialisme, me disent s’ils connaissent plus noble critérium pour une troupe.

« Et lorsqu’un régiment passe majestueux et lourd au son du légendaire boudin, il porte avec lui toute la gloire dont ses drapeaux sont couverts »

(un général de légion, célèbre)



2rep Livre Roro  L’ADJUDANT-CHEF ABSTEIN

Adjudant de la 4ème compagnie
J’ai pensé en écrivant ce livre a un homme pour qui j’ai beaucoup de respect, mon adjudant de compagnie l’adjudant-chef Johanne Abstein.

C’était un homme qui parlait peu, ses paroles étaient rares, mais c’est un homme qui avec sa personnalité indiscutable et ses états de service, était l’âme de la compagnie.
Ce que je pense personnellement se réduirait a quelques mots :une grande admiration, et je ne pourrai donc pas lui consacrer un chapitre. Je cite donc le journal Képi-Blanc
« Il vient a peine d’avoir 19 ans que Johanne Abstein décide de quitter son pays natal pour s’engager dans la Légion Etrangère.

 

Ce jeune Allemand né à Ober-Ingelheim le 19 mars 1931, attiré par le métier des armes, se présente au poste de recrutement de Marseille en 1950 ou il signe un engagement volontaire de 5 ans à compter du 9 mai.

Débarqué à Oran (Algérie)le 29 mai 1950 le Légionnaire Abstein est dirigé sur le 1er Régiment Étranger d’infanterie ou il est affecté à la compagnie de passage N°3.
En juin il est dirigé au 3ème bataillon Étranger de Parachutistes stationné à Sétif et après l’instruction « para » de base, il rejoint la 10ème compagnie. Il se fait déjà remarquer par son esprit militaire et sa manière de servir. Il ne tarde point à être récompensé en effet le 1er décembre le capitaine Darmuzai commandant le 3ème BEP lui remet les galons de caporal.

Im Haten kehr’n die Legionäre

Beï der schwarzen Rose ein

Sie pfeifen auf gelb und Ruhm und Ehre

Denn schon bald kann alles anders sein

(chant de tradition)

Abstein rêve de voyages. A bord du Pasteur où il avait embarque le 22 février 1951 il attend avec impatience de prendre pied sur cette partie du continent asiatique qu’est l’Indochine.

En mars enfin il débarque à Saigon pour rejoindre aussitôt le 2ème Bataillon Étranger de parachutistes. Il participe aux opérations assignées à cette unité. Nombreuses embuscades, patrouilles, reconnaissances, qui donneront à ce jeune caporal, un sang froid et un courage remarquable.

Contre les Viets, contre l’ennemi

Partout ou le combat fait signe

Soldats de France, soldats du pays

Nous remonterons vers les lignes

(chant du 1er Régiment Étranger de Parachutistes)

Le 24 février 1952 il se distingue particulièrement à Sue-Sich (route coloniale no 6-Tonkin où il maintient son groupe en place en dépit des attaques et des tirs rebelles. Pour ce fait il est cité à l’ordre de la brigade et on lui attribue la croix de guerre des théâtres d’opérations extérieures avec étoile de bronze. Un extrait de sa citation nous résume cet épisode de sa carrière
« entraînant ses hommes à l’assaut et allant jusqu’au corps à corps, a causé des pertes sévères à l’adversaire »

Le 30 avril on fête Camerone. Le caporal Abstein est présent à la cérémonie qui a lieu près du poste de Nghi-Nuyen. Le chef d’escadron Raffalli (futur chef de corps du BEP, mort au champ d’honneur) décelant sa valeur le récompense. Abstein est nommé caporal-chef. La journée est bien réussie mais la nuit est courte. Deux coups de mortier tombent près du P.C du bataillon.

O légionnaires le combat qui commence

Met dans nos âmes enthousiasme et vaillance

Peuvent pleuvoir grenades et gravats

Notre victoire en aura plus d’éclat

Lors du combat de Du-Xa (Hung Yen Tonkin) le 3 mai il est chargé avec son groupe d’une reconnaissance profonde en zone rebelle. Il pénètre au plus près au cœur du dispositif Viets Ming et obtient des renseignements permettant d’infliger des pertes à l’ennemi. Le 18 juillet à Traï Mat Thu (tête de cobra Tonkin) il tombe dans une embuscade de nuit. Malgré la pression adverse il parvient à maîtrise la situation mettant hors de combat plusieurs adversaires et faisant deux prisonniers. Ces actions d’éclat lui valent une deuxième situation à l’ordre de la brigade comportant l’attribution de la croix de guerre T.O.E. avec étoile de bronze.

Le 23 avril 1953 opérant comme chef d’équipe voltige aux abord de la plaine des Jarres, il est pris à partie par des ennemis camouflés et retranchés dans un ravin. Il mène son équipe dans une vigoureuse action de débordement et neutralise les rebelle en dépit des grenades et pistolets mitrailleurs adverses. Le colonel Guillard commandant les forces terrestres au Laos cite le caporal chef Abstein à l’ordre de la division le 20 mai et lui attribue la croix de guerre avec T.O.E avec étoile-d’argent.

Son périple indochinois se termine en avril 1954 lorsqu’il embarque en avril 1954 a Haiphong pour l’Algérie il est affecté au dépôt commun de la légion Etrangère en attendant son retour de congé de fin de campagne.

Et si la mort nous frappe en chemin

Si nos doigts sanglants se crispent au sol

Un dernier rêve, adieu a demain

Nous souhaiterons faire école


2rep Livre Roro  L’ALGERIE

En décembre 1954 le caporal-chef Abstein rejoint le 3ème BEP, unité employée alors au maintien de l’ordre et basée à Sétif. Le bataillon prend en août 1955 l’appellation de 2ème Régiment Étranger de Parachutistes, puis le 1er décembre fusionné avec le 3ème BEP il devient le 2ème Régiment Étranger de parachutistes. Pour Abstein cette date restera toujours dans ses souvenirs. Non seulement il fait partie d’une nouvelle unité de parachutiste mais en outre il entre dans le corps de ces sous-officiers légion. En effet le 1er décembre on lui remet les galons de sergent.
En octobre 1956, au Koudiat El Mrj il accroche une bande rebelle, lance ses voltigeurs à l’attaque et contraint ses adversaires à la fuite.

Son ardeur au feu exceptionnelle est encore mise en évidence le 22 décembre dans le Djebel Anoual (secteur de Tébessa) où il se distingue au cours de plusieurs assauts qui permettent d’abattre une vingtaine de rebelles dont plusieurs à son compte.

Jeune sergent il demeure un magnifique exemple pour ses hommes. Le 22 juillet 1957 il est cité à l’ordre de l’Armée par le Ministre de la Défense citation qui comporte l’attribution de la Croix de la Valeur militaire avec palme.

Le mois suivant il rentre en métropole pour décrocher son brevet brillamment à Pau de « moniteur parachutiste. »

 

En 1958 le sergent Abstein donne la pleine mesure de sa valeur. Dans l’affaire du 28 avril au douar Beni Sbihi (secteur de Collo) comme chef de demi-section choc, il mène ses voltigeurs à l’attaque et déloge l’adversaire. Blessé, il continue à commander ses hommes et ne se fait évacuer qu’à la fin du combat.

En septembre la médaille militaire avec l’attribution de la Croix de la Valeur Militaire lui est conféré.En octobre à deux reprises, il fait l’admiration de ses chefs : il se distingue au Kef El Ah Mar (secteur de la Calle) puis au Bni Messeline (secteur de Guelma) Il y gagne sa sixième citation. Son sens du combat n’est plus à démontrer.

Il confirme encore ses brillantes qualités lors de l’engagement du 26 septembre 1959 à la Mechta Krarza (secteur de Sétif)

Malgré les balles, malgré les obus

Sous les rafales ou sous les bombes

Nous avançons vers le même but

Dédaignant l’appel de la tombe

Le premier octobre il est promu au grade de sergent-chef et le 26 du mois suivant se voit attribuer une citation à l’ordre du corps d’Armée avec croix de la valeur militaire, et étoile de vermeil (nouvelle blessure).

Ses actions d’éclat ne se comptent plus, le 4 juillet 1960 il fait à nouveau preuve de ses qualités guerrières en entraînant sa section au combat dans le Douar Tabellout (secteur de Didjelli) où il est nouveau blessé par balle.

Le 29 avril 1961 c’est l’apothéose. Il est nommé dans l’ordre national de la Légion d’honneur. Fait chevalier. Cette nomination comporte l’attribution de la Croix de la Valeur Militaire avec palme.
Promu adjudant le 1er octobre 1963 Abstein se consacre à la préparation des brevets de chef de section du 2ème degré. Son épopée parachutiste s’achève en 1967 lorsqu’il est affecté au 1er Régiment étranger d’INFANTERIE.

Abstein s’envole ensuite pour le territoire français des Afars et des Issas.
Rapatrié en fin de séjour il rejoint Aubagne le 1er août 1972.Après trois années passées en métropole il sera muté au 5ème Régiment Étranger du Pacifique en septembre 1975.
En 1978 il retourne à Aubagne et est rayé des contrôles le 9 mars 1979.
L’Adjudant-chef Abstein sera par la suite nommé Officier dans l’Ordre national du Mérite.
Ces quelques pages que je viens d’écrire résument la carrière de l’adjudant-chef Johanne Abstein, combien de combats ? en Indochine et en Algérie ? Abstein a-t-il livré qui ne firent pas dans ce résumé ?

ABSTEIN « Français par le sang versé et non par le sang reçu »

Abstein était le personnage de la 4ème compagnie, mais combien d’autres adjudants ou adjudants chefs figuraient dans l’ordre de bataille du Régiment avec un passé différent tout aussi glorieux.

Je pense à vous Adjudant-chefs :

BERES Julia - KAROS Adolf - SZUSTER Stephan - SCHLEGEL Jochum - GUTFLEISCH Karl – KAUTZ Oscar – SCARSETTI Francisco – HIRMANN – YEGUWIAN Raffi – XUEREB et tous les autres …… la liste est trop longue.

Schwarze Rose von Oran

Küss noch einhmaldeinen Legïonar

Schwarze Rose; schwarze Rose

Schwarze rose, schwatze Rose

Vielleicht siechst du ihn nicht mehr

Français, que je rencontre au hasard de mes promenades, qui portez avec ostentation la légion d’honneur à votre boutonnière de veston.

Juges, procureurs, bâtonniers, ministres, députés, secrétaires d’Etat ,collaborateurs de ceux que je viens de citer, sportifs, hommes de spectacle, chanteurs et guitaristes de tout poil et de tout acabit, officiers planques à Saumur ou dans les Etats-majors des régions militaires, chefs d’entreprise qui n’avez réussi que votre propre profit personnel, résistants de la dernière heure ou de la dernière minute, combattants de 39 qui n’avez jamais tiré un coup de fusil mais avez levé les bras devant l’ennemi, officiers d’active et de Réserve et tous les autres... si vous croisez un jour dans le Var un vieil homme un peu courbé vêtu modestement découvrez-vous et saluez l’adjudant-chef Abstein en vous disant que vous avez devant vous un homme, qui a été un héros, pour avoir servi 28 ans dans les Régiments étrangers de parachutistes…

Abstein était mon adjudant de compagnie.

 

Je ne vous ai jamais oublié mon Adjudant-chef, puisse ces quelques pages raviver la Mémoire, et le souvenir, de votre carrière exceptionnelle, et me rappeler les années 1965,1966,1967, ou j’ai eu l’honneur de servir sous vos ordres.

Vous nous avez appris, vous qui étiez si avare de vos phrases 3 mots que nous avons enregistrés en vous regardant.

-Le mot HONNEUR, celui d’appartenir comme vous au 2ème REP.
         -Le mot FIDELITE, fidélité à la parole donnée, celle d’exécuter à la perfection tous les ordres quelques qu’ils fussent les plus invraisemblables soient-ils.

Vous avez quitté la légion à 28 ans de service dont la plupart au 2ème REP. Fidélité à son adjudant de compagnie.

Trois ou quatre pages ne peuvent résumer votre carrière à la Légion.
En dehors des citations pour lesquelles vous avez été cité plus haut, comment ne pas être conscient de tout ce qui n’est pas mentionné, de vos combats journaliers en Indochine et en Algérie.
Le plus bel hommage que je puisse vous adresser est, que vous avez marqué ma mémoire à jamais !

Dein Leben gehört den Legionären

Denn du Kennst den großen Schmerz

Du weist daß sie niemals wiederkehren

Darum schen kst du den Jungen auch dein Hezz





2rep Livre Roro  LA PISTE

"Chaque jour qui se lève, est une nouvelle leçon de courage"

Si tu vas au bout du risque

Si tu restes sur la piste

La piste garce et cruelle

La piste sauvage et belle

Mourant tu sauras l’aimer

Car elle t’aura tout donné

(Chant de tradition)

La journée commence invariablement avant d'avoir pris la moindre tasse de café, par un cross de dix à quinze kilomètres. De longues files multicolores, identifiées par un short et un maillot de couleurs différentes, suivant les compagnies serpentent dans la plaine.

Officiers, sous-officiers et Légionnaires s'en vont bon train cracher leurs poumons, avant de commencer la journée. Il n'y a pas d'allure pépère comme ceux qui font leur jogging dans les jardins publics, mais une allure commando où l'on se sort tripes et boyaux. Ce n'est qu'après ce début d'exercice que nous avons droit au café. Et la journée commence, le début de semaine aussi, la compagnie reste toujours au camp de base, les autres compagnies crapahutent dans la montagne à raison de deux cent cinquante à trois cents kilomètres par semaine.

« Tes anciens ont souffert sur la piste

Comme des chevaliers et des preux

En ton cœur soit le parachutiste

Toujours prêt à faire aussi bien qu’eux »

Départ le lundi matin aux aurores après avoir avalé le cross jusqu'au samedi midi. Chargés comme des mulets de nos armes et paquetages soit nous partons du camp a pied en camions ou alors nous sommes parachutés dans le djebel, sur des zones de saut de fortune. Les progressions sont exténuantes, répétitives à en vomir. Nous ne savons jamais quand nous allons enfin entendre le signal de la halte? Tard dans la nuit. Le terrain est difficile, les progressions lentes, nous avalons les lignes de crêtes et les dénivellations, puis plongeons dans d'immenses thalwegs où les sangliers, pourtant habitués, ne pénètrent même pas. S'ensuivent d'interminables heures à se frayer un chemin dans les épineux. Quinze heures? Vingt heures de marche sont notre lot quotidien. On n'a jamais le droit de flancher, la petite fatigue n'est pas admise, le coup de pompe non plus, il faut toujours avancer sans réfléchir concentré sur l'effort d'avancer une jambe après l'autre, grimper, descendre, tomber, buter sur le camarade qui vous précède, avancer en somnolant comme une bête. Les dénivellations s'enchaînent les unes après les autres, les jambes sont lourdes, remplies de crampes.

« Ton chemin sera toujours la piste

Dans la nuit la chaleur ou le froid

Dans la nuit tombe un parachutiste

Piste sans fin, toujours devant toi »

Le cœur bat la chamade, les bretelles du sac cisaillent nos épaules, l'arme portée à la manière des Régiments Parachutistes sur l'épaule nous meurtrit, nous rappelant que ce n'est pas une partie de campagne. Les caporaux s'agitent. Les plus faibles sont requinqués par les coups de Mat 49 qui s'abattent à la cadence d'un métronome sur les reins de ceux qui ont des difficultés. Sous les coups, la machine repart, l'organisme retrouve des réserves insoupçonnées, pour que chacun assure la mission qui lui a été confiée jusqu'au bout... Pour la cohésion de la section, de la compagnie, du Régiment. La sécurité de tous repose sur chacun d'entre nous...

"Marche ou crève" expression galvaudée mais tellement d'actualité dans les Régiments Etrangers de Parachutistes. Aller jusqu'au bout de ses forces, trouver en soi même ses propres limites et les repousser de semaines en semaines jusqu'à ce que l'effort ne nous pèse plus, que cela sa fasse d'une façon naturelle. La rémission des pêchés est journalière Que d'efforts!!! Que de souffrances, l'hiver dans le froid par –10°, -15° et l'été +35° sous la canicule. La soif nous obsède, les bidons sont vite ingurgités, nous suçons alors des cailloux pour tromper la sécheresse de notre bouche.

La nuit, les progressions dans la montagne sont encore plus difficiles, nous nous retenons à une des bretelles du sac du Légionnaire qui nous précède, en marchant comme des machines, comme des automates. Nous arrivons à dormir en marchant, jusqu'à la chute qui nous fait dévaler quelques mètres plus bas. Il faut alors retrouver son arme dans le noir, les effets échappés dus sac et recoller au peloton. De temps en temps la halte s'impose pour retrouver des forces. Nous sortons alors nos réchauds "bleuets" pour avaler des litres de café et manger de l'oignon pour pouvoir reprendre quelques forces. L’œil est rivé à la montre à l'instant fatidique du petit quart d'heure de repos. Plus que quatre minutes, plus que trois... Les minutes passent vite, et il faut alors reprendre la progression sans jamais râler, sans lâcher un mot, dans une discipline de soldat de métier librement et individuellement consentie. Tard dans la nuit après la fin de la progression, allongés par terre, nous regardons le ciel, et les étoiles.

 

La voûte céleste est là écrasante, muette, et nous attendons des réponses à notre infortune, que les étoiles ne nous renvoient pas. Le sommeil s'empare de nous, comme un coup de massue, jusqu'au petit matin. Le réveil est guidé par le froid qui engourdit nos membres. L'heure du café est arrivée. A nouveau le café chaud, son odeur, un vieux quignon de pain, une maigre boite de sardines ou une boite de singe et l'on repart.

Si tu dois en finir sur la piste

Que ce soit en beauté comme ceux

Qui sont morts en vrai parachutistes

Comme des preux et des chevaliers.


Ces efforts ne seront pas vains car ils nous ont permis de tenir au Tchad. Ce n'était qu'une répétition de ce que nous allions endurer pendant des mois dans un pays inhospitalier avec peu de moyens logistiques. Comme l'avaient fait les générations précédentes, sans se plaindre, avec juste la satisfaction du devoir accompli, d'un soldat professionnel, engagé volontaire, sous le fanion "vert et rouge" de la Légion, et du régiment parachutiste de celle-ci.

 

Il faudra para

En découdre par le poignard et par la poudre

Rien ne saura t’émouvoir

Para rude, parachutiste

C’est ta loi

Dans les dangers de la piste

Rien ne saurait t’émouvoir.

(chant de tradition)