La nuit du 1er Octobre se passe dans le calme, mais dans l'après-midi du 2 octobre, Le Page et Segrétain apprennent que l'opération Thérèse d'évacuation de la garnison de Cao-Bang débute le lendemain. De nouveaux ordres ne tenant aucun compte de la réalité sur le terrain sont envoyés à Le Page : « III - Le lieutenant-colonel Le Page a pour mission de faciliter et de couvrir le repli du groupement Charton. A cet effet:
- Dans un premier temps, le groupement Bayard sera poussé de Dong-Khé jusqu'à Nam-Nang (PK 114) qu'il devra atteindre le 3 octobre pour y faire sa liaison avec le groupement Charton et ouvrir la voie à ses éléments.
- Dans un deuxième temps, le lieutenant-colonel Le Page prenant sous son commandement l'ensemble des forces entrant dans la composition des groupements Bayard et Charton se repliera sur That-Khé, via Dong-Khé.
Pour accomplir cette nouvelle mission, Le Page abandonne la prise de Dong-Khé et morcelle ses forces en trois éléments ; le BEP, qui appartient au sous groupement Delcros, tenant toujours la cote 615. Ce qui constitue une grave erreur, les viets ayant les moyens d'attaquer tous ces éléments à la fois tout en harcelant Charton. Ils le prouvent en attaquant les Marocains sur le Na-Keo et sur le Na-Ngaum. Alors que la compagnie qui tenait le Na-Ngaum a été balayée, sur la 615, bloqué par les ordres stricts de Le Page, le BEP assiste impuissant à la bataille qui fait rage toute la nuit sur le Na-Keo. Vers 14 heures, le BEP relève les goumiers sur le Na-Keo. Sur la position, plusieurs centaines de cadavres du TD 102. Devant l'emplacement FM d'un goumier mort, on compte, alignés, 15 cadavres viets. Après avoir réaménagé les positions, à son tour le BEP subit la pression de l'ennemi.
A la tombée de la nuit, les TD 36 et 246 montent à l'assaut du Na-Keo. Un millier de viets au coude à coude. Plusieurs assauts violents sont brisés par les légionnaires parachutistes qui témoignent d'une discipline de feu remarquable. Entre 500 et 600 viets jonchent les pentes du piton. Mais Delcros et Segrétain savent qu'ils ne tiendront pas longtemps et qu'il leur faut à tout prix rejoindre Le Page. Le repli commence ; il faut également évacuer la centaine de blessés inaptes au combat vers les goums de recueil qui eux-mêmes les brancarderont vers That-Khé. Du côté de Le Page, la situation n'est guère plus brillante, lui aussi étant ralenti par un convoi de blessés. Presque encerclé par les viets, il lui faut décrocher en combattant, percer la ligne viet, puis s'engouffrer dans le passage avec ses unités et ses blessés.
En même temps, les viets harcèlent les avant-postes de That-Khé. Le poste 41-Ouest tenu par une section du 1/3e REI est submergé par les bo-doïs. Au cours de la nuit, le sergent Picco, grièvement blessé, ordonne le repli sur 41-Est. Une trentaine de rescapés, dont 10 blessés graves atteignent le poste du Deo-Cat. Le BEP forme l'arrière-garde du détachement. « Tout se passe d'abord bien, se souvient le lieutenant Stien. Les premiers groupes ont déjà traversé le sinistre défilé et grimpent vers le col de Loung-Phaï. Puis c'est la fusillade, la cohue, la panique. Les Nord-africains refluent en désordre, larguant les blessés, bousculant les unités qui attendent. Les mulets abandonnés ruent et braient... La cohue et le désordre mis par les éléments affolés qui refluent empêchent toute action organisée pour tenter le passage en force. Delcros et Jeanpierre ont disparu. Une décision rapide s'impose car les viets du Na-Keo ne vont pas tarder à se rendre compte de l'escamotage du BEP.
Le commandant Segrétain reçoit alors l'ordre de rejoindre le PC Bayard sur 765. La colonne est reformée tant bien que mal et reprend la progression. Il faut quitter la route et rechercher des sentiers qui iraient vers le nord-ouest. Nous marchons à 500 mètres à l'heure. Les blessés brancardés sont ballottés, tombent, sont ramassés. Ils serrent un mouchoir entre leurs dents pour ne pas hurler de douleur. La progression est un calvaire. On fait du sur-place, on dort debout ; certains s'écroulent au moindre arrêt, morts de fatigue. Il faut les rudoyer pour qu'ils se relèvent.
Vers midi, 765 est en vue. Jeanpierre et Delcros ont rejoint la colonne qui stoppe pour faire reposer les blessés et les porteurs. Les commandants Delcros et Segrétain se rendent au PC de Le Page d'où ils reviennent avec de nouvelles instructions dans le cadre de la jonction avec la colonne Charton partie la veille de Cao-Bang. » A Cao-Bang, depuis le 1er octobre, le lieutenant-colonel Charton prépare le repli de sa garnison. Le calme règne dans la ville ; le 2 octobre, en même temps qu'il reçoit l'ordre d'évacuation de Langson, il fait miner la citadelle par le lieutenant Clerget du génie : 150 tonnes d'explosifs destinés à faire sauter les dépôts. Naturellement, les viets suivent attentivement les préparatifs. Parmi les officiers, nombreux sont ceux qui se demandent pourquoi passer par la RC 4 pour rejoindre un groupement déjà en difficulté alors que la RC 3 est libre et qu'une opération d'envergure (Phoque) se déroule vers Thaï N'Guyen. Mais les ordres de Constans sont là aussi impératifs et les légionnaires effectuent discrètement la destruction des moyens lourds, piègent tout ce qui peut présenter un intérêt pour les viets.
Le 3 octobre à 6 heures du matin, la colonne Charton se met en route. En tête, les quatre compagnies de supplétifs du bataillon Tissier chargées d'ouvrir la route, puis le 3e Tabor, le PC du lieutenant-colonel Charton et le 3/3e REI. En queue de colonne s'est rassemblée toute une population marginale ou plus ou moins compromise avec les Français et qui connaît trop bien le sort que lui réserverait le Vietminh.
Empruntant la RC 4, la tête de colonne atteint PK 124 en fin de matinée. Moins de six kilomètres ont été parcourus quand à la même heure, la citadelle saute dans une formidable déflagration. A 18 heures, alors que le PC de Charton se trouve à PK 117, la tête de colonne commence à subir le harcèlement léger des sonnettes viets. A la tombée de la nuit, la colonne, avec ses véhicules, ses canons et ses civils qui augmentent à chaque village, n'a parcouru que 18 kilomètres. Le 4 octobre au matin, compte tenu de la situation à Dong-Khé et des difficultés qui assaillent le groupement Bayard, dont il est maintenant à peu près évident qu'il n'atteindra jamais Nam-Nang, Charton reçoit l'ordre d'emprunter la piste Nam-Nang - Quang-Liet à travers la forêt.
La piste qui mène à la vallée de Quang-Liet a presque totalement disparu ; il faut rouvrir au coupe-coupe. Mais pour le moment, bien que ralentie, partisans en tête, la colonne progresse en sécurité ; les viets se concentrant sur Le Page et à un degré moindre sur That-Khé. Tous les ouvrages de la place sont neutralisés les uns après les autres. Le poste 41-Est est détruit à son tour à l'issue d'un corps à corps qui coûte 7 tués, 30 disparus et 13 blessés à la petite garnison. Les rares survivants se replient sur le poste 45 qui subit lui-même un violent bombardement. Dans la nuit, le lieutenant Lathiere-Lavergne commandant la 3e compagnie qui tenait ces postes ordonne le repli sur That-Khé.