Au mois de février 1952, le général Salan, confronté aux problèmes de la défense du delta tonkinois décide de replier les forces du secteur de la rivière Noire et le camp retranché d'Hoa-Binh. Le déclenchement de l'opération est fixé à 20 heures le 22 février 1952, et c'est seulement une heure avant le début des mouvements que les ordres sont communiqués aux unités.
Pourtant, les viets sont aux aguets et sentent qu'il se passe quelque chose. Comme à Cao-Bang, ils sont renseignés par des agents disséminés au sein de la population, ce qui rend la tâche encore plus ardue. C'est donc tout à la gloire du 3/13e DBLE du commandant Vaillant et du 1/5e REI du chef de bataillon Masselot d'avoir permis aux troupes de l'Union française de franchir la rivière Noire malgré la très forte pression vietminh.
La nuit est tombée, sombre, depuis quelque temps déjà ; le clapotis s'estompe, peut-on lire dans le carnet d'un légionnaire de la 13e DBLE. Nous lui tournons le dos. Le grondement des moteurs et les protestations des boîtes malmenées couvrent le tumulte de la bataille ; les phares ont remplacé les black-out.
Dans les GMC, la tension s'apaise et les survivants de la section Wenkgerkind sombrent dans une lourde torpeur peuplée de cauchemars .Au fil des kilomètres, les calcaires abrupts s'évanouissent dans l'obscurité ; le terrain devient plat, coupé de "rachs".
Les camions quittent la route coloniale , pour une diguette cahoteuse qui marque la fin du voyage . Les endormis, brutalement réveillés, injurient les conducteurs qui n'y peuvent rien...
Finalement, les camions s'arrêtent, des corps lourds se laissent glisser des caisses et s'étirent longuement , "retour d'un enfer"... Nous sommes le 24 février il est 23 heures.
Une opération de plus, mais ce ne fut pas sans peine, ni sans gloire !
Le début de la manoeuvre remonte au 22 février . Comme les précédents, ce jour-là est sans histoires . Le 3/13e DBLE et le 1/5e REI, solidement implantés sur leurs positions, comme d'habitude harcelés par un ennemi bien armé, mais impuissant devant les défenses des légionnaires. Ce qui inquiète le capitaine Gille-Naves et les légionnaires de la 12e compagnie et 3/13e DBLE, ce sont les tirs automatiques. Les viets tâtent les points d'appui et essaient de s'infiltrer entre les positions. Dans les unités, on devine, sans vouloir y penser, que l'évacuation d'Hoa-Binh est imminente. Face aux divisions viet-minh qui se rassemblent, Salan n'a plus les moyens de tenir la tête de pont de Tû-Vû, établie l e 23, alors que la brume couvre encore la Rivière Noire, de gigantesque geysers de flammes et de fumée précédant d'assourdissantes déflagrations qui préludent à l'abandon de la localité. Ce sont les munitions et les excédents qui sautent. Dans l'aube naissante, on distingue des files de soldats qui rejoignent le bac et les chalands de la Marine.
C'est bien le repli
Le 3/13 couvre l'opération. Selon les ordres, le 1/5 fournit le recueil. A 6h00 ,la 2e compagnie se porte sur l'ancienne psition de la CIP du 2e BPC. Le capitaine Pérignon prend commandement de l'ensemble. A 07H00, bataillon quitte son point d'appui et fait mouvement vers Ben-Noc où il s'installe défensivement sur la rive gauche de la rivière Noire. La 2e compagnie et la CIP rejoignent à leur tour le dispositif du 1/5e REI. En très grande partie, si l'on comprend également les BEP, le succès de l'opération repose sur la Légion. Car plus haut, dans les calcaires, le 3/13e DBLE du commandant Vaillant livre un combat retardateur héroïque.
Dès 8 heures du matin, les premiers viets qui ont compris que la proie est en train de leur échapper, descendent en rangs serrés des montagnes pour occuper un terrain si chèrement payé. Les troupes d'assaut lancent sur les positions des légionnaires un véritable raz de marée. Le combat fait rage ; l'ancien point d'appui de la 11 ème compagnie grouille de bodoïs . Les FM et les mortiers de 60 sont au point de rupture.
Dernier bataillon à décrocher, le 3/13e DBLE est engagé par trois bataillons viets. Regroupé à Xom-Noï, il résiste depuis 09H30 à tous les assauts. La 9e compagnie et la CCB fauchent les bo-dois dans les barbelés, tandis que la « 11 » et la « 12 » font boule de feu en terrain découvert.
L'artillerie et surtout les mortiers du bataillon font des ravages parmi l'ennemi. La 12e compagnie fait face à l'ouest. A proximité de l'ancien PA de la 11 e compagnie, le radio du capitaine Gille-Naves signale qu'ils accrochent dur... Sans cesser d'encourager ses hommes, le capitaine fait des prodiges. Saisissant le pistolet-mitrailleur d'un tué, il fait le coup de feu au milieu de ses hommes. Les légionnaires ont l'habitude, cela fait deux mois que ça dure ! Hélas, aujourd'hui, il a rendez-vous avec son destin. Un groupe de viets menace l'arrière-garde. Sa haute silhouette se dresse, farouche, il fauche l'ennemi à bout portant. Mais tout près, un PM crépite. Touché, le capitaine Gille-Naves trébuche, mais se redresse encore. Une nouvelle rafale laboure ce corps déjà inerte.
Mais il trouve la force de murmurer : « Je laisse le commandement au lieutenant Paret. C'est mon dernier ordre... ».
Plus loin, un éclat de mortier mutile un légionnaire ; d'un bond terrible, un autre légionnaire saute dans une alvéole occupée par des bo-doïs et les mitraille sans pouvoir s'arrêter. Pendant ce temps, le reste du bataillon contient les viets dans une véritable mission de sacrifice. Car il faut tenir ! Le long ruban des unités et des convois défile sur la RC 6 et franchit la rivière Noire sans discontinuer.
A 11 heures, le 3/13e DBLE est regroupé à Thinh-Lang.
Au loin, le tumulte de la bataille indique que le 1/5e REI est lui aussi soumis à une terrible pression. Les légionnaires de Masselot sont la clé de voûte de l'évacuation !. Pénétrés de l'importance de la mission, les hommes vont tenir, au-delà de la logique, exploit après exploit, jusqu'au passage de la dernière unité. Dans le gris de la saison des pluies, l'ennemi talonne sans répit les légionnaires. Durant les éclaircies, malgré la crasse qui couvre les collines, le Morane qui observe le champ de bataille indique les concentrations vietminh aux chasseurs qui piquent et mitraillent les bo-dois. napalmés, une terreur panique les pousse sur les positions françaises où ils sont impitoyablement éliminés.
Le commandant Vaillant saisit l'occasion et donne l'ordre de repli vers l'embarcadère. Progressant vers la pagode de Thinh-Lang et le long des rives, les légionnaires de la « 13 » se heurtent aux viets infiltrés sur la RC 6. C'est un nouveau corps à corps pour forcer le passage. Les pertes sont lourdes, mais le bouchon saute. La section Wenkgerkind dénombre 30 cadavres viets ; devant la compagnie Paret l'ennemi a perdu 40 hommes, sans compter les blessés qui sont liquidés un peu plus loin dans la jungle. Une nouvelle sortie de l'aviation soulage les deux bataillons Légion. Il est 13 heures quand le 3/13 entame le franchissement. Mais l'ennemi a placé une mitrailleuse sur une ancienne position française et tient l'embarcadère sous son feu. Une hésitation... Les légionnaires courent entre les rafales. Planté sur la berge, le commandant Vaillant dirige l'évacuation. Avec le lieutenant Gaydon de la 245e CSM, il est un des derniers à passer.
Sans perdre un instant, le bataillon regroupé fait mouvement sur X-Phéo. De l'autre rive, frustrés, les viets bombardent ou mitraillent tout ce qui bouge sur la route. Aussi, les unités progressent-elles dans les hautes herbes qui la bordent. Après XPheo, le bataillon se dirige vers Ao-Trach, qu'il traverse à 19 heures. Plus loin, les camions l'emmènent au pont n° 8. Le soulagement est perceptible. Pas pour longtemps, à 3 heures du matin le 24, les viets attaquent la tête du convoi. Sans bien savoir où, l'artillerie donne de la voix. Finalement, devant la défense vigoureuse des légionnaires, les viets se replient pour harceler d'autres unités. Encore plusieurs blessés, mais aussi deux prisonniers.
L'aube dévoile un immense bivouac et de longues colonnes de Dodges ou de GMC qui doublent d'interminables files d'hommes à pied. Le 3/13 se place en recueil du 1/5e REI et de la CIP du 2e BPC. Les légionnaires et les parachutistes aux ordres du capitaine Masselot ont tenu la tête de pont jusqu'à 14H30, le 24 février, remplissant la mission au-delà de toute espérance.
Le capitaine Masselot, sa 3e compagnie et un groupe d'officiers seront les derniers Français à quitter la rive gauche de la rivière Noire.Pendant de longues heures, les convois une course de vitesse s'est engagée avec les viets .Pour l'instant, Salan a gagné la première manche . A 16H30, les derniers éléments dépassent les positions du 3/13. Un groupement composé des 9e, 10e, 12e compagnies et la CCB est commandé par le capitaine Fumery et décroche en premier . La 11ème compagnie du bataillon et la 2e compagnie du 2e BEP forment l'arrière-garde.
Au loin, le 2ème BPC se replie appuyé par un peloton de chars. Tout est trop calme... Soudain, l'embuscade se dévoile , le feu nourri de l'arrière-garde stoppe net l' assaut ,mais une unité de feu est vite consommée.
II faut éviter de se laisser encercler . Mais dans une telle situation , bien souvent au-delà de la discipline de feu et des ordres tactiques , il ne faut souvent compter que sur l'initiative personnelle. De surcroît, dès le début de l'engagement, un éclat de mortier a détruit le poste radio du DLO qui ne peut plus diriger les tirs d'artillerie. Pourtant, à 800 mètres, un poste enu par des tirailleurs sénégalais barre un immense défilé calcaire.
Mais 800 mètres c'est long...
« C'est à nouveau le corps à corps, chacun mêne son ombat personnel : dix mètres en courant, ailleurs, on joue de la baïonnette et de la crosse... ».
Dans le convoi des PIM, c'est la panique. Certains, de vrais viets, achèvent les blessés français et lancent des grenades sur les légionnaires. Ils sont abattus sans pitié. D'autres courent dans tous les sens à la recherche d'un abri illusoire. Les derniers enfin, font le coup de feu aux côtés des légionnaires. Mais le bruit du combat a alerté la colonne qui envoie des renforts. « En avant du poste, la chasse s'en donne à coeur joie et casse du viet ! ». Les bo-doïs abandonnent la poursuite. Giap croyait renouveler Cao-Bang sur la RC 6 après ses déboires contre le maréchal de Lattre. Avec Salan et Linarès, il est tombé sur de meilleurs manoeuvriers que lui ; son entêtement face à une manoeuvre bien conçue et bien menée lui a coûté des pertes énormes, un armement et un matériel qui seront longs à remplacer, donnant ainsi un nouveau répit au corps expéditionnaire.
Le major ROOS a HOA-BINH.
L'Homme porte une soixantaine alerte et sportive : il fût il y q quelques années auparavant , Président des sous-officiers de la Légion-Etrangère . Sur sa poitrine, la rosette d'officier de la Légion d'Honneur la médaille militaire, l'ordre national du mérite, la croix de guerre des TOE, la valeur militaire, la médaille des blessés, les commémoratives d'Indochine et d'Algérie donnent une idée du parcours du major Horst Roos en près de quarante ans de Légion.
Le major Roos se souvient de ses premières armes en Indochine.
« Je me suis engagé en 1951 à 18 ans. Je ne connaissais rien de la vie. En Allemagne, c'était dur, mais sans histoire. Pourtant, en moins de six mois, j'allais passer de l'usine de Ludwigshafen aux rizières de Cochinchine. C'était l'époque où la France avait besoin de monde en Extrême-Orient ; aussi, on allait vite. Quelques jours à Marseille, puis à Sidi-Bel-Abbès pour l'incorporation, et tout de suite l'instruction au 3e BEP à Sétif. Là, nous apprenions les rudiments de l'armement, pratiquions l'éducation physique militaire et les sports de défense. Un brevet parachutiste, et me voilà avec un renfort de légionnaires, en compagnie de marsouins ou de marocains, à fond de cale sur le Wisconsin, en route pour l'Indochine. Quelque soit le bateau, c'était un voyage éprouvant par sa durée, la promiscuité, la chaleur en mer Rouge, les odeurs, les poulaines suspendues à l'extérieur de la rambarde.
Dès l'accostage à Saigon, l'odeur de vase et de ngoc-man nous a collé à la peau. L'humidité et la chaleur caractéristiques du delta du Mékong ont fait le reste. Les autochtones, hauts en couleur, semblaient gais et insouciants. En 1951, ils nous aimaient bien ; il faut dire que la Légion était une mine d'or pour eux. De plus, les viets venaient de prendre quelques raclées dans le nord grâce au général de Lattre, alors le commerce était florissant. Voilà pour l'ambiance. Au plan militaire, c'était plus confus. A Sétif, nous étions correctement équipés. A Saigon, malgré les efforts du général de Lattre, on improvisait : veste et pantalons camouflés anglais ou américains, bien souvent panachés, pataugas, chapeaux de brousse et équipements tout droit issus des surplus, le MAS 36 a crosse repliable , dont le recul n'était guère apprécié des Légionnaires , un PM de 9 mm à crosse repliable.
On a même fait une opération de protection du 2e BEP au Tonkin. Le bataillon, commandé par le chef d'escadrons Raffalli, campait à Bach-Mai, près des JU 52. Les Dakotas étaient à Gia-Lam.
Dès le 4 octobre 1951, avec le bataillon, je participai à la bataille de Nghia-Lo. Pour faire décoller les JU, les 15 légionnaires devaient se porter vers l'avant pour répartir le poids, puis l'avion montait en spirale dans les trous d'air. Deux heures de ce régime, et la DZ apparaissait comme une délivrance. Pourtant, celle de Gia-Hoï, une rizière coincée entredes montagnes pourvues d'une végétation impénétrable, n'avait rien d'attirant.Saut à 250 mètres, regroupement sans trop de casse;
A cette époque, les "torches" n'étaient pas rares
Les tirs semblaient sporadiques et lointains. Agissant sur les arrières du régiment 209, nous avons fait du bilan avec le 8e BPC. Mais I'exfiltration, pardon ! Pistes interdites et azimut brutal avec nos blessés à travers la jungle ; en plus, une erreur de largage nous a envoyé du "vinogel" à la place du ravitaillement et des munitions ! Mais nous avons quand même rejoint les positions amies.
Cette première expérience du combat me fut tout de suite profitable à Noël dans le massif du Bavi. Pendant plusieurs semaines, nous avions chassé le viet, sans trop de résultat d'ailleurs. C'était la dernière grande opération qu'ait dirigée le général de Lattre avant de quitter l'Indochine, atteint d'une maladie incurable. En prévision des fêtes, nous étions bien contents de redescendre vers la rivière Noire . Soudain, nous avons été appelés en renfort d'un convoi qui dégustait malgré une escorte de Chaffee.
Un half-trackt des camions étaient détruits, partout des morts et des blessés: un feu d'enfer... Puis le trou noir. Je me suis réveillé dans une ambulance et plus tard à l'hôpital de Lanessan à Hanoï.
C'était ma première blessure. A ma sortie de l'hôpital, j'ai rejoint le 2e BEP à Hoa-Binh. Janvier et le début de février avaient été calmes, mais depuis quelques jours, nous entendions des convois sur la RC 6 et les viets s'enhardissaient. Aussi, nous n'avons pas trop été surpris par le repli. Nous nous sommes mis en recueil face aux calcaires et nous avons attendu les attardés. Presqu'en même temps, les viets ont déboulé. Dispersés, les bo-doïs au milieu de nous, nous courions tous vers la rivière .Finalement, regroupés par petits paquets autour d'un officier ,cheminant dans les futaies serrées de bambous, nous avons rejoint un poste de Sénégalais. C'est là que j'ai réalisé que je m'étais trouvé nez à nez avec un viet aussi jeune que MOI et que nous n'avions pas tiré.».Le jeune homme avait fait l'apprentissage de la guerre.
PUIS ce furent Lorraine, l'opération sur Phu-Doan et son prodigieux bilan, puis Na-San où, comme première classe, Horst Roos commande une équipe de voltige, ou encore Phu-Ly et le delta tonkinois.