En cette période de saison sèche, rien n'annonce le désastre à venir. Les camps retranchés ont parfaitement rempli leur fonction et les grandes opérations ont maintenu le delta à l'abri des visées de Giap. Pourtant, dès la fin de l'opération "Mouette ", il semble que la menace vietminh, sans vraiment s'écarter du delta, s'oriente à la fois au centre, vers les Hauts-Plateaux et surtout au Nord-Ouest vers le pays Taï et le Laos. L'abandon de Na-San voulue par Cogny, ayant ouvert la voie au Vietminh sur l'itinéraire capital de Yen-Bay à Diên Biên Phu, porte de la vallée de la Nam-Youn et du chemin conduisant à Luang-Prabang.
Le 2 novembre, malgré plusieurs opinions divergentes, Navarre prend la décision qu'il mûrit depuis le mois de juillet et ordonne une action préventive visant à s'emparer par surprise de la position de Diên Biên Phu ». Plus tard, pour se justifier, Navarre écrira : "Occuper Diên Biên Phu et y accepter la bataille m'apparut comme l'unique solution me donnant une chance, avec les forces que j'avais, de sauver le Laos .Pour réaliser cette opération exclusivement aéroportée, le général Cogny dispose de 6 bataillons dont le ler BEP. L'opération « Castor » est préparée dans le plus grand secret et le cadre d'ordre du général Gilles qui en assure le commandement précise ses objectifs : s'emparer dans un premier temps du village de Diên Biên Phu et des croupes de l'ancien poste. Tenir la piste d'aviation. Le 20 novembre 1953, une flotte de 70 Dakota et 10 C 119 Fairchild est rassemblée sur les terrains d'aviation d'Hanoï.
L'investissement de Diên Biên Phu doit être réalisé par le GAP 1 du lieutenant-colonel Fourcade comprenant trois bataillons renforcés : 6e BPC du commandant Bigeard, 2/ler RCP du commandant Bréchignac et 1er BPC aux ordres du commandant Souquet. Ces unités sauteront en deux vagues successives sur l'objectif. Les jours suivants, au plus à J+3, les forces tenant la cuvette doivent s'élever à deux GAP réunissant six bataillons parachutistes. A cette date, la cuvette est occupée par le PC du régiment 148 et par le bataillon 910, plus spécialement chargé de l'instruction des troupes régionales. Deux autres bataillons couvrant la cuvette au loin, face à la frontière vietnamo-laotienne peuvent rallier Diên Biên Phu en deux jours de marche. Enfin, les têtes de colonnes de la division 316 sont en train d'aborder Son-La.Après un vol de deux heures, à 10h30, le signal vert apparaît. La plus grande opération aéroportée de la guerre d'Indochine vient de commencer.
Le 6e BPC saute le premier sur la DZ Natacha et se pose en plein milieu des bo-doïs en train de conduire une séance d'instruction sur le tir au mortier et à la mitrailleuse. Après une période de regroupement confuse, le bataillon Bigeard entame la conquête de ses objectifs. Le 2/ler RCP saute simultanément sur la DZ Simone. Comme sur Natacha, le largage est approximatif, ce qui empêche le bataillon d'intercepter des éléments vietminh, dont l'état-major du régiment 148, qui décrochent vers le sud-ouest, là où la brousse épaisse qui borde la Nam-Youm n'a pas permis de terminer le bouclage de Diên Biên Phu. Après six heures de combat, le GAP 1 contrôle la cuvette où règne une activité intense. En lisant les documents saisis, on s'apercevra qu'outre les unités mentionnées par le 2e Bureau, deux compagnies lourdesde matériel sur le village de Diên Biên PhParachutage avant la bataille du bataillon 675 appartenant à la division 351 se trouvaient sur place, appuyant du feu de leurs mortiers et de leurs canons SKZ l'infanterie engagée contre les parachutistes. Le succès est complet, mais déjà, le GAP 1 compte 11 tués et 52 blessés. Heureux de ce succès, le général Navarre adresse le message suivant au général Gilles :
« Je vous prie de transmettre mes chaleureuses félicitations aux troupes parachutistes qui ont sauté sur Diên Biên Phu dans la première vague — Je n'ignorais pas le danger de cette entreprise, mais connaissant leur valeur, je n'ai jamais douté du succès — Le général Cogny y joint ses plus affectueuses félicitations — Signé : Navarre, commandant en chef. »
Le lendemain, dans une atmosphère de ruche bourdonnante, les largages continuent. Le 1 er BEP fait partie de la seconde vague de l'assaut aéroporté ; dès les jours suivants, il constitue l'un des bataillons d'intervention du groupement opérationnel du Nord-Ouest. Le général Gilles et le PC de l'opération sautent avec le GAP 2 ; le matériel lourd est largué sur la DZ Octavie. De part et d'autre de la Nam-Youn, les parachutistes déploient une activité intense pour récupérer l'armement lourd et le matériel égaré lors du saut, ramasser les parachutes, réparer le terrain d'aviation que les Viets avaient détruit et aménager les premières positions du camp retranché.
Le 22 novembre, avec l'arrivée du 5e Bawouans du capitaine Botella, l'effectif est complet, soit 4650 parachutistes réunis dans la plaine de Diên BiênPhu. Plaine est un bien grand mot pour cette vallée, la plus grande de la région, qui constitue également un important grenier à riz pour le Vietminh. Traversée par la Nam-Youn qui appartient au bassin du Mé-kong, la cuvette s'étend sur 17 kilomètres de long et 5 de large. Elle est couverte de taillis et d'arbres. Des montagnes assez élevées l'entourent et elle reçoit moitié plus d'eau que les autres vallées du nord de l'Indochine. Les rizières de la petite plaine sont surplombées, de 700 mètres environ, par des lignes de crêtes qui descendent en gradins irréguliers. La forêt couvre ces hauteurs ainsi que les mamelons du nord-est. La piste d'aviation en terre battue est située au centre de la cuvette et au nord Pavie qui traverse également la cuvette.
Dans la vallée vivent 15000 Thaïs cultivant le riz et traitant l'opium, un trafic qui rapporte annuellement 500 millions de francs au Vietminh. Chef-lieu administratif sans grande importance, Diên Biên Phu constitue en revanche, un enjeu stratégique de taille par sa position au centre d'un éventail se déployant du Laosà la Thaïlande, la Birmanie, la Haute-Région duTonkin et la Chine méridionale. Au mois d'avril 1945, elle avait vu passer la colonne Alessandri en vers la Chine nationaliste. Par rapport aux poss connues du Vietminh à ce moment là, le site judicieusement choisi, d'abord pour freiner, arrêter la ruée des divisions de Giap sur le ensuite pour exprimer totalement la puissance du plus grand camp retranché d'Indochine.
Dès le 22 novembre, les travaux commencent aménager le camp retranché de part et d'autre la Nam-Youn. La méthode des points d'appui, celle appliquée à Na-San, mais cette fois renforcées en centres de résistance plus étoffés auxquels donné des prénoms féminins. Ainsi, du nord a en suivant l'axe principal constitué par la Nam-Y la piste Pavie, trouvera-t-on, en premier lieu k d'appui Gabrielle, un avant-poste situé à quatres mètres du camp retranché proprement dit et oi enterré le 5/7e RTA, puis en descendant, léger excentré sur la rive droite, le centre de rési: Anne-Marie composé de deux points d'appui regroupé ,un bataillon Thaï et à gauche, dans la position, Béatrice dont les trois points d'appui tenus par le 3/13e DBLE. Entourant la piste 1 position, à l'ouest, voici Huguette comprenant six d'appui où sont installées les compagnie 1/2e REI et son appendice Françoise, Claudine les trois points d'appui sont défendus f 1/13e DBLE, puis à l'est, en remontant vers le Claudine 6 qui deviendra Junon où se trouvent du GAP et l'hôpital souterrain du commandant Gr Eliane dont les six points d'appuis sont initia tenus par le 1/4e RTM et Dominique où le 3/2 est organisé en 5 points d'appui. Au centre du dispositif, à proximité de la piste d'aviation, Epervier regroupe le PC du groupement opérationnel du Ouest, les services du camp et son artillerie que les bataillons parachutistes placés en raids d'intervention. A huit kilomètres au Sud, en profondeur de la piste d'aviation secondaire, se trouve 15 où sont solidement retranchés le 3/3e REI, I, RTA, le 3/10e RAC et 3 compagnies Thaïs.
Au fur et a mesure de la bataille, et suivant son évolution, la défense des centres de résistance et leurs positions changeront, des relèves interviendront avant le renversement des derniers jours de combat au cours du mois de mai. Après le retrait des ler et 6e BPC du camp seuls restent le GAP 2 et, jusqu'au 10 décembre le 2/1er RCP pour mener a bien les sorties de plus en plus difficiles.
Le recueil des forces de Laï-Chau et l'évacuation de la place vont tourner au cauchemar. Le 23 novembre, le bataillon Bréchignac est envoyé au devant de la colonne et la rejoint à six kilomètres au nord du camp retranché. Une partie des partisans Thaïs a déjà pris le chemin de Diên Phu en passant par la brousse. Mais les hommes de la colonne sont rattrapés après deux jours de marche par des détachements du TD 148 qui les harcèlent. Rapidement, les hauts responsables militaires français se rendent compte que la cuvette est investie. La division 316 atteint Diên Bien Phu le 6 décembre. La 308, la 351 lourde et la 312 sont attendues entre Noël et la fin de l'année. Le 7 décembre, le général Cogny ordonne l'opération Léda, évacuation aérienne de Laï-Chau. En rotations, les éléments de la garnison et les civils sont évacués sur Diên Biên Phu. Le 8, le GAP 2 un raid de nettoyage dans la région de Ban-Lam-Ban et Na-Doï, au sud de la cuvette en ayant pour instruction :
- d'affirmer notre présence et de détruire le maximum de VM; pour interdire la récupération du paddy et du riz par les V.M.
- de recueillir des renseignements sur l'identification, le stationnement, les dépôts et les intentions VM dans cette zone.
Au cours de cette sortie, les parachutistes recueillent également un pilote dont l'avion a fait un atterrissage. Le lendemain, après avoir brûlé une tonne de paddy, soumis au harcèlement viet, le détachement rentre à Diên Biên Phu. Le 14 décembre, le TD 174 entre dans Laï-Chau désert. L'opération Pollux est officiellement terminée. Il ne reste plus aux partisans que la possibilité de rejoindre la cuvette ou le Laos . En fait, derrière la satisfaction affichée, un drame se jouera à l'arrière-garde. Un nouveau Cao-Bang, les compagnies légères de supplétifs qui essaient de se glisser entre les colonnes viets.
Le 11 décembre à 7 heures, le GAP 2 aux ordres du commandant Leclerc quitte Diên Biên Phu pour aller à leur rencontre. Tandis que les éléments du 8e BPC grenouillent dans les villages méos sur les crêtes, le groupement progresse sur la piste Pavie. Dans l'ordre, 1 er BEP, 5e Bawouan. Le BEP progresse prudemment, chaque mouvement de terrain pouvant receler un piège. Au nord de la cuvette, la vallée se transforme en un goulet d'étranglement où s'infiltre la RP 41. Le commandant Guiraud l'aborde avec précaution. La compagnie Martin reçoit l'ordre de reconnaître les pitons qui dominent la Nam-Co. La section de tête tombe sur un poste de surveillance viet récemment abandonné. Il y a encore des casques en latanier, des sacs de couchages, des fils téléphoniques qui partent vers l'arrière.
Colonne par un sur un layon esquissé dans la jungle, la progression continue, quand tout à coup, la section de l'adjudant-chef Baty est durement accrochée. Son dégagement mobilise les compagnies Brandon et Verguet ; finalement, les Viets décrochent. Bilan : 7 blessés qu'il faut déjà brancarder en attendant une évacuation héliportée. La progression reprend, lente et difficile dans la forêt serrée ou dans les herbes à éléphant coupantes comme des rasoirs. Après des heures de coupe-coupe, le bataillon reçoit l'ordre de se poster défensivement sur un piton où il recueille un détachement de Thaïs venant de Laï-Chau. C'est un miracle qu'ils aient échappé aux Viets. Une remarque unanime : « Il y en a partout ».
Un des sous-officiers qui parle bien le français explique : « Nous avons pris la brousse, mais nous devions faire très attention en traversant les pistes ou les sentiers ; c'est plein de colonnes de bo-doïs ou de coolies. Plusieurs fois on a failli se faire accrocher, mais c'est notre pays. » Le 12 décembre, le BEP reprend sa progression vers l'est, en direction d'une ligne de crête où il s'installe. Le 13, le 5e BPVN passe en tête. A 14 heures, les bawouans entrent dans Muong-Pon désert ; la garnison du village vient d'être massacrée.
Au même moment, le BEP poursuit sa progression en direction du Pu-Ya-Tao sur les traces du 5e BPVN. Arrivés au sommet, les légionnaires s'installent pour la nuit. Partout aux alentours, du fond des vallées monte le bruit des coupe-coupe. Le dimanche matin, la 4e compagnie du BEP est regroupée autour de son chef, le capitaine Cabiro, le légendaire « Cab ». Les chefs de section sont anxieux et pour tout dire, ils souhaitent l'affrontement. Coupant court, le commandant Guiraud fixe les missions du bataillon. Direction un petit col en amont du Pu-San où le BEP doit attendre un parachutage de vivres, d'eau et de munitions qui lui est destiné ainsi qu'au 5e BPVN, qui, d'après les écoutes radio, semble en difficulté. Au moment où l'avant-garde du GAP 2 quittait Muong-Pon, la colonne a été prise sous un feu violent. C'est le 5e Bawouans qui subit le choc. En très peu de temps, et malgré l'intervention de deux B 26, les bawouans comptent 3 tués, 13 disparus et 22 blessés à brancarder. Le commandant Leclerc lui donne alors l'ordre de se regrouper sur le Pu-Ya-Tao.Toujours installé sur le col de Pyong-Hang, le BEP va être le témoin impuissant de l'horreur .
Une compagnie du 5e BPVN gravit les pentes du Pu-San. Les malheureux n'arriveront jamais au sommet. Malgré l'appui de l'aviation et les tirs de l'artillerie du camp retranché, les sections sont bloquées par des tirs aussi précis que meurtriers. Profitant d'un vent tourbillonnant, les Viets mettent le feu aux herbes. Rapidement les flammes environnent les parachutistes vietnamiens pris au piège. Ils ne peuvent sortir que pour se faire abattre. Leurs hurlements inhumains couvrent la fusillade et vrillent les nerfs des légionnaires impuissants. Quelques survivants parviennent néanmoins à se dégager du brasier. Le 14 décembre, le commandant Guiraud ordonne une reconnaissance"sur le Pu-Ya-Tao à la 4e compagnie et place le reste du bataillon en recueil. Le ler BEP est à ce moment en arrière-garde du groupement, les éléments des deux autres bataillons commençant leur repli vers la cuvette. Les légionnaires de Cabiro découvrent un sommet complètement arasé et inoccupé. L'incendie a dévoilé les nombreux emplacements de combat des parachutistes.
Des cadavres calcinés, quelques tombes fraîchement creusées, un peu d'armement témoignent du sacrifice de la veille. Afin de donner un peu d'air au groupement, le bataillon s'installe en hérisson tandis que le 5e BPVN amorce vers la vallée en direction du recueil du 8ème BPC. La 4e compagnie du BEP s'est rapidement et solidement organisée sur les anciens emplacements de combat, les aménageant et les consolidant. En deuxième échelon, « Loulou » Martin avec sa 3e compagnie interdit aux viets l'accès de la piste de crête prévue pour le repli. A 400 mètres se tient la section lourde du lieutenant Roux. Celui-ci devenu par la suite général, écrira en 1984 dans Képi-Blanc : « Nous nous installons sur le Pu-Ya-Tao, les trous sont creusés à une allure record et, les herbes à éléphant sont arrachées sur plusieurs mètres, les légionnaires n'ont pas envie de brûler .L'artillerie n'est pas intervenue car l'aviation doit arriver. Finalement, un chasseur est arrivé il a failli nous larguer un bidon de napalm sur la figure, nous avons vu le bidon passer à dix mètres de nous en tournoyant, et s'écraser dans l'herbe à éléphant. Pendant que nous, nous organisons l'aumônier (le père Chevalier) récite la prière des morts sur les tombes fraîchement creusées .Sur le piton en face, distant de moins d'un kilomètre nous apercevons les Viets qui emmènent des prisonniers, les mains liées dans le dos Le commandant Guiraud a donné ses ordres pour le décrochage : « repli à 12 heures point de recueil prévu. Dans l'ordre :Verguet,Cabiro ,Martin, Brandon ».
A 11h 50 profitant du départ du Morane d'observation, d'interminables colonnes viets débouchent en rangs serrés des hauteurs qui dominent la piste Pavie. Ils sont des milliers qui dévalent en toute sécurité des pitons situés à vue des positions du BEP. L'occasion est trop belle pour leur rappeler qu'ils ne sont pas encore les maîtres du terrain. Ils sont juste en limite de portée des 155 du camp retranché. Les premiers obus surprennent les bo-dois et bientôt, un tir des plus efficaces sème la mort parmi les colonnes. Les bawouans sont vengés par ce déluge d'acier et de feu.
12h00 : les unités entament leur repli. L'arrière-garde est au contact. La compagnie Cabiro quitte son piton au moment où les Viets débouchent sur le sommet. Les légionnaires dévalent les pentes ; les mitrailleuses du lieutenant Roux tirant juste derrière eux. Le BEP manoeuvre en « perroquet ». C'est maintenant au tour de Brandon de se replier. Les Viets essaient de s'infiltrer entre les compagnies. Au pas de charge, sans s'arrêter, les légionnaires vident leurs chargeurs ; à son tour, Brandon s'installe pour porter un coup d'arrêt. Le PC qui vient d'arriver sur le piton tenu par la compagnie Verguet, demande l'intervention de l'aviation et annonce que le Morane d'observation a été touché par la chasse ! Le Morane de relève est abattu à 16 heures par la DCA viet qui contrarie très sérieusement l'activité de la chasse du camp retranché. Petit À Petit, les unités se regroupent sur le Pu-Ya-Tao. Les légionnaires arrivent essoufflés par cette véritable course contre la mort. C'est le moment de dénombrer les effectifs. Le commandant Guiraud s'inquiète au sujet de la compagnie Brandon. Aucune liaison n'est établie. Les Viets s'enhardissent de plus en plus, tâtant le dispositif Verguet. Soudain, une vive fusillade. Ce ne sont pas les hommes de Brandon, mais les bo-doïs qui se ruent à l'assaut du bataillon. Pensant que les légionnaires parachutistes sont en train de se replier, ils prennent peu de précautions. Une erreur qui est fatale à bon nombre d'entre eux. Un calme trompeur, ponctué de coups de feu isolés tombe sur la montagne. Mais on est toujours sans nouvelles de la 2e compagnie. "Ils arrivent !" - crie un guetteur. Effectivement, une colonne de légionnaires débouche sur le Pu-Ya-Tao. Brandon est en tête de ses hommes. Il n'y a qu'à voir l'état des légionnaires pour se douter de quel enfer ils reviennent. Les treillis sont en loques, tous ont les bras, les jambes, le visage ensanglantés par les herbes coupantes et les branches épineuses. Harassés, les légionnaires s'abattent sur le sol pour un court moment de répit. Brandon explique qu'au moment où il faisait décrocher sa section vietnamienne une nuée de Viets s'est ruée sur eux pour couper la compagnie du gros du bataillon. Les vietnamiens se sont affolés, laissant la maîtrise de la piste aux Viets, ce qui leur a permis d'empêcher les sections de monter sur le Pu-Ya-Tao. Beaucoup de légionnaires ont préféré basculer dans la jungle, par petits groupes ou individuellement.
L'exploit du sergent-chef Grimault
Grimault est de ces sous-officiers dont on a l'impression qu'ils ont toujours fait partie du cirque », écrit Pierre Sergent pourtant, il est jeune et n'a pas encore dix ans de service quand il signe son exploit du Pu-Ya-Tao. Mais sa légende est déjà bien établie parmi les légionnaires parachutistes. Engagé le 2 mars 1945, il termine la guerre dans les rangs du RMLE. C'est en Indochine, à Huong-Diem, le 6 mai 1946, que le jeune Grimault subit son baptême du feu. Pour son troisième séjour en Extrême-Orient, Grimault décide de se faire breveter parachutiste. Affecté au ler BEP, il est de tous les coups durs du bataillon : plaine des Jarres, Laos, Centre-Annam, jusqu'à ce 14 décembre, où il est seul au milieu des Viets. Isolé au milieu des morts et des agonisants, entouré par les Viets, il lui faut rapidement quitter les lieux s'il ne veut pas être exécuté. S'étant éloigné, il s'emploie à modifier sa tenue, sa petite taille lui permettant d'obtenir une très convenable silhouette de bo-doïs dans l'obscurité. II compte se faufiler entre les unités viets pour rejoindre Diên Biên Phu à la faveur de la nuit. Il s'approche très discrètement d'une formation qui s'apprête à faire mouvement.
A peine les bo-doïs se sont-ils mis en marche qu'il emboîte le pas à distance respectueuse. Déjà une autre unité s'approche. Jouant habilement des distances, Grimault marche de concert avec les Viets. Ceux de tête le prenant pour le premier de la colonne suivante et les autres inversement pour un traînard de la colonne précédente. Le silence absolu dont font preuve les bo-doïs facilite grandement les choses. Le sergent-chef s'arrête en même temps que les autres, relayant le geste du Viet qui le précède. Après des heures de tension insoutenable, il arrive enfin dans la cuvette, choisit un embranchement de boyau pour fausser compagnie aux Viets et rejoint le ler BEP où on le croyait mort. Le sergent-chef Grimault sera tué au cours de la bataille.
Finalement, les Viets, copieusement arrosés de napalm lâchent prise. Un Dakota parachute un complément de munitions, tandis que des hélicoptères évacuent les blessés sur l'antenne chirurgicale du commandant Grauwin. A 18h30, les Viets rompent le contact. Le commandant Guiraud fait le décompte des pertes : 28 morts et disparus, 24 blessés graves, des armes endommagées, des postes radio détruits... A lui seul, Brandon totalise une quarantaine de pertes ! A 20 heures, le 5e Bawouans décroche. Après avoir brûlé les parachutes de ravitaillement, le ler BEP décroche à son tour. Le 15 décembre, les derniers éléments du GAP 2 sont à l'abri dans le camp retranché. La reconnaissance en profondeur s'est soldée par un échec. La preuve est faite qu'il n'est pas possible de maintenir des troupes régulières au sein du dispositif vietminh. Le même jour, sur le terrain d'atterrissage remis en état par des équipes spécialisées du Génie Légion renforcées par les légionnaires et les paras, se posent les premiers éléments du G.M9, principalement composé par les 1er et 3ème bataillon de la 13ème Demi-Brigade de Légion Etrangère.
Dix jours plus tard, alors que le ler BEP est envoyé a la frontière du Laos pour assurer la liaison avec un groupement mobile venu du Haut-Mékong ,vallée de la Nam-Ou (opération Régates), un nouveau bataillon rallie le camp retranché : c'est le 3/3ème Regiment Etranger d'Infanterie , destiné à étoffer la garnison d'Isabelle, un point d'appui indépendant, «établi à six kilomètres autour d'une batterie d'artillerie qui doit appuyer au plus près les collines du réduit central ». Pour son appui direct, le centre de Diên Biên Phu dispose en effet de 10 chars moyens "Chaffee", qui ont été montés en un temps record par la CRALE. Dès les premiers jours de janvier 1954, le 1/2ème Etanger d'infanterie se pose à Diên Biên Phu. Il entame aussitôt Ia construction du PA Huguette dont la mission consiste a couvrir, face à l'ouest, la piste d'atterrissage. Il est rejoint dans le courant du mois par des éléments du 2/3e REI et par la CCS du 3e Etranger. A la fin du mois de janvier, si l'on compte aussi Ies trois compagnies de mortiers lourds du 1er BEP, du 2ème, du 5e REI, l'effectif légionnaire présent à Dien-Bien Phu avoisine les 4000 hommes, soit le tiers de l'effectif engagé en Extrême-Orient.
Au début de l'année 1954, lors des reconnaissances vers le sud et le Laos, le scénario est identique a celui de l'opération Pollux. Le lieutenant Nomura du ler BEP se souvient de la sortie du 12 janvier vers Isabelle qui a déjà été harcelée par l'artillerie vers le sud : « Départ de nuit à 4 heures afin d'être en place au lever du jour après avoir suivi la piste dite du "bulldozer". Le mouvement est effectué par le 5eBPVN et le 1er BEP aux ordres du capitaine Vieules, ce jour là. Ce groupement est commandé par le chef de bataillon de Seguin-Pazzis.
A 13h30, la 3e compagnie atteint Ban-Huoî--Phüc , abandonné comme les autres villages. Le lieutenant Brandon avance dans une échancrure de la végétation, la boussole dans la main gauche pour faire le point. Une balle fait sauter la boussole, blesse Brandon à la main, endommageant son alliance. Les Viets ouvrent un feu nourri et blessent le légionnaire Brack de la première section. Rapidement dévoilé, le dispositif VM paraît constitué d'un élément assez léger dans la rizière, à petite distance, appuyé par ce qui doit être une grosse compagnie tapie sur les flancs de la colline située à 400 mètres et plus de nous. Les 57 SR s'occupent aussitôt de cet objectif éloigné, tandis que 3e compagnie fonce avec la « 2 » pour nettoyer la rizière. La « 4 » se tient prête à manoeuvrer par la droite où l'on décèle quelques mouvements. Les Viets de la rizière sont submergés et laissent armes et tués sur place.La section Bertrand récupère quelques armes.
Le bilan de cette sortie se chiffre du côté Viet par 16 tués, un prisonnier blessé, un FM, 4 PM, 7 fusils, ainsi que des documents saisis ; du côté du bataillon on compte 5 tués, dont le sous-lieutenant Nénert, 33 blessés, dont 5 officiers : Brandon, Luciani, Martin, Roux, Thibout, et 2 sous-officiers : sergent-chef Lemaire et sergent Lemahieu. Inexorablement l'étau se resserre. Déjà sur les points d'appuis on perçoit le grouillement des régiments viets autour des positions. Dès la sortie des chicanes, pratiquement, l'accrochage est inévitable. Les reconnaissances offensives vers les montagnes de l'est sont de plus en plus meurtrières. Le capitaine Cabiro, est grièvement blessé lors de la sortie du 5 mars qui a pour objectif la cote 781 : Vers 10h30, nous dépassons la compagnie Verguet qui s'installe en recueil, écrira plus tard le commandant Cabiro.
La section du lieutenant Bertrand en tête, nous atteignons vingt minutes plus tard, sans encombre, le petit col qui surplombe d'une soixantaine de mètres le piton boisé de 781 — rudement escarpé le frère, surtout de face ! — un peu plus accessible par la droite, mais très inquiétant, comme le silence oppressant, palpable, qui nous entoure... Par la droite, encore que nous soyons un jour impair, la Section du lieutenant Bertrand, flanquée de celle du chef Sterlay, collant au plus près des éclatements, commence à grimper le raidillon, ils vont attaquer à mi-pente.
Pierre Schoendoerffer, flanqué de son inséparable Perraud — les voilà encore ces deux-là ! — filme impavide le déroulement de la progression. D'un seul coup tout s'embrase : obus, rafales, grenades... Des légionnaires tombent, les autres, par bonds, de rocher en rocher, d'arbre en arbre, s'infiltrent, empoignant le Viet au corps à corps ; des blockhaus invisibles à quinze mètres se dévoilent brutalement. J'envoie le sous-lieutenant Boisbouvier déborder par la gauche ; lui aussi, balayé à mi-pente, blessé, ensanglanté, entraîne irrésistiblement ses légionnaires. A droite, à gauche, c'est bloqué. Il ne reste plus qu'à aborder de face. J'y vais avec le commandement ; c'est pire qu'au Garigliano !
Tout près de moi, Martin, blessé au bras, continue de s'expliquer à la mitraillette avec un de ses vis-à-vis et l'abat. Une brûlure fulgurante à la jambe droite, je fais deux ou trois pas en marchant sur mon tibia et m'écroule ; ma jambe est cisaillée entre la cheville et le genou. A quelques mètres au-dessus, Bertrand, Sterley et Boisbouvier vont peut-être coiffer le sommet maintenant tout proche. Je passe par radio le commandement à Bertrand, Martin m'envoie bouler au pied du piton où mon ordonnance et deux de ses camarades tentent de me traîner à l'abri. Une autre grenade, nous serons à nouveau touchés, tous les trois. A vingt mètres, Schoendoerffer, miraculeusement indemne, filme toujours. Beres, légèrement atteint n'a presque plus de munitions. Dans un brouillard, j'entends Bertrand qui me confirme qu'ils ont coiffé le piton, mais n'ont pu s'y maintenir faute d'effectifs.
Les Viets groggys ne les ont pas contre-attaqués ni poursuivis. » C'est aussi à la fin de janvier que la garnison attend l'affrontement. Le 15 janvier, pour la première fois, une salve d'obus s'écrase sur la piste d'aviation. Celui que l'on surnomme bien vite le « canon jap » vient de se manifester.
Pendant deux mois, tous les jours impairs, ses obus rappelleront son" bon souvenir" à la garnison. Malgré les bombardements intensifs sur le site présumé de sa position, malgré aussi les opérations terrestres montées en direction des collines de l'est, il poursuivra sa sinistre nistre besogne, fauchant les imprudents pris sous son tir. Pendant tout le mois de février, tous les bataillons d'intervention du camp retranché, parmi lesquels le ler BEP et le 1/3e REI, aidés par des bataillons implantés, dont les 3/3e REI et 1/2e REI tenteront de venir à bout de cette pièce. En vain. Bien au contraire, chaque fois, les unités avancées sont immédiatement contre-attaquées par des effectifs nombreux et fanatisés. En face des quelques compagnies françaises, Giap, qui méprise les pertes, aligne des régiments complets de la 312, qui a rejoint le siège, ou de la 316. II est vraisemblable que ce « canon jap » n'était que la pièce directrice de chacune des batteries viets chargées d'accrocher le tir en vue de l'attaque. Au PC du colonel de Castries, on finit par renoncer à ces sorties trop coûteuses au regard des résultats obtenus. D'autant plus, qu'à la fin du mois de février, d'autres sujets de préoccupation assaillent le commandement. En effet, à proximité des points d'appui les plus excentrés,Gabrielle au nord (5/7e RTA) ou Béatrice au nord-est (3/13e DBLE), les Viets montrent une activité fébrile, creusant des tranchées,implantant des casemates, certaines d'entre-elles en vue directes des créneaux français.
Tout indique un siège en règle, l'amorce d'une asphyxie de ces positions. Dès le début du mois de mars, quotidiennement et à tour de rôle, les unités d'interventions (1 er BEP ou 8e Choc) iront ainsi détruire les sapes, combler boyaux et tranchées aménagés durant la nuit.
Ces opérations, relativement aisées au début, vont devenir de plus en plus ardues, pour être franchement hasardeuses, voire impossibles, à quelques jours de l'attaque. Le 11 mars par exemple, il faut l'intervention supplémentaire de deux compagnies pour dégager le 3e Tirailleurs, durement accroché à moins de 50 mètres des avant-postes de Béatrice. Ces deux compagnies du BEP sont même contre-attaquées par un bataillon ennemi appuyé par des mortiers et des mitrailleuses lourdes. Ce même jour, "le jap " détruit au sol un C 82 Fairchild Packett L'attaque est proche? « C'est pour demain »
Le 12 mars au PC du GM 9, le téléphone grésille : c'est de Castries qui prévient le lieutenant Gaucher, chef de corps 13e DBLE et commandant le mobile que l'attaque est « pour demain 17 heures ».
Il est 17 heures, ce 13 mars. Sur les positions de Béatrice, 450 légionnaires du 3/13 commandées par le chef de bataillon Pégot attendent l'assaut. Le matin, ils savent qu'ils auront à supporter le premier choc de la bataille et se préparent à affronter 9000 bo-doïs des TD 141, 209 et 165 qui constituent la division 312. Le bataillon est solide, même si son effectif est au plus bas. Les quatre compagnies qui le composent ne comportent en moyenne que 85 gradés et légionnaires aux ordres d'un seul officier. Les sections sont commandées par des sergents plus rarement par des sergents-chefs. Malgré tout réputation oblige, la position donne une impression de solidité rassurante. Toute la journée du 13 les légionnaires peuvent observer l'adversaire, dont les fantassins se préparent, à moins de 100 mètre des boyaux qui serpentent sur les crêtes voisines, au nord et au sud, et que rien ne vient déranger, ni artillerie, ni aviation. 17h15 pour les uns, 17h18 pour les autres, Béatrice vole en éclats. C'est l'apocalypse.
La formidable préparation d'artillerie, durant trois heures, quatre heures? Ces grondements, ces sifflements, ces explosions sourdes, ces déflagrations ce sont des obus, des milliers d'obus de tous calibres, mortiers lourds, canons SKZ de 57 et artillerie de 77 et 105 mm, une gigantesque préparation d'artillerie qui pilonne et dévaste les pc. Plus de 20.000 coups, au cours de la nuit. La 351 ème division lourde a de quoi animer le paysage.Le sergent Kubiak du 3/13e DBLE a vécu cet d'enfer : « C'est alors que, d'un coup, la fin du monde arrive »
Il semble que le piton Béatrice "s'envole, réduit en poussière". Tout autour de moi, la terre se soulève, et les légionnaires s'écroulent ça et là, mortellement touchés. Je fonce vers la position que je dois tenir et retrouve tous mes légionnaires déjà prêts à accueillir l'ennemi au cas où il se risquerait à venir jusqu'à nous. Pour l'instant, pas un seul mort parmi eux et cela semble un miracle après tous ceux que je viens de voir tomber en quelques instants. Ce serait vraiment une chance inouïe que cela continue de cette façon. Tout surpris, nous nous demandons où les Viets ont pu prendre tant de canons, capables de déclencher un tir d'artillerie d'une telle puissance. Les obus tombent sans arrêt comme une brusque averse de grêlons meurtriers un soir d'automne. Blockhaus après blockhaus, tranchée par tranchée, tout s'écrase, ensevelissant les hommes et les armes. » Très vite, les pertes sont élevées. Plus grave encore, vers 17h30, un obus à court retard s'enfouit et explose dans l'abri du commandant Pégot qui est tué ainsi que son adjoint, le capitaine Pardi. Le bataillon n'est plus commandé alors que, dans les barbelés où ils se sont glissés, les premiers Viets des compagnies d'assaut ouvrent des passages avec des sortes de bengalore et se lancent à l'attaque. Le tir de préparation viet que le colonel Piroth, commandant l'artillerie du PC.GONO croyait impossible, est levé. Le corps à corps s'engage ; il va durer cinq heures. Deux fois, trois fois, la 9e compagnie du lieutenant Carrière (Béatrice 1) et la 11 ème compagnie du lieutenant Turpin (Béatrice 3) rejettent les Viets au ravin. Deux fois, trois fois, l'artillerie ennemie prend le relai, à peine contre-battue par une artillerie française qui ne peut, et ne pourra pratiquement jamais situer les pièces de la 351. Les légionnaires sont hachés par les obus sur leurs emplacements de Combat ; les sections sont décimées et les pertes Considérables. Partout, les hommes sont au corps à corps : Voilà bientôt quatre heures que nous tirons. A sa demande d'où peuvent-ils bien sortir ? Malgré nos rafales continues et les trous que nous faisons sans cesse dans leurs rangs, les Viets, comme pour nous narguer, continuent d'avancer.
Je serre les dents et encourage les légionnaires qui viennent vers moi pour savoir ce qu’ils doivent faire. Un légionnaire est aux prises avec un Viet. N'ayant plus de munitions, il se déchaîne, frappant soudain son adversaire avec sa mitrailleuse. Et pourtant, son bras gauche n'est plus qu'un lambeau de chair sanguinolente, bien près de se détacher du corps. Dans l'ardeur du combat, c'est tout juste s'il ressent son horrible blessure. Il attendra jusqu'à 8 heures du matin avant qu'on puisse l'amputer, au centre du terrain qu'il aura réussi à rejoindre par ses propres moyens Puis à la première contre-attaque, il s'échappera de l'ambulance et mourra en héros après avoir combattu de longues minutes avec son unique bras. »
Le sort s'acharne sur la 13e DBLE ; après le commandant Pégot, au coeur même de Diên Biên Phu, un peu avant 20 heures, un autre obus explose dans le blockhaus du colonel Gaucher, commandant le GM 9 et les deux bataillons de la 13e DBLE dont il est le chef de corps. « On ne peut assurer la défense du point d'appui par radio, observe le colonel Gaucher ; il faut désigner un officier pour tâcher de rejoindre Béatrice et en prendre le commandement sous le feu. Je propose que l'on... Il ne peut achever sa phrase. Un obus crève le toit de l'abri, percute le bureau de bois sur lequel il explose. Dans le noir, Van Fleteren écarte la toile de sac qui séparait les deux abris et projette sa lampe électrique autour de lui. Dans la poussière et la fumée, il découvre un spectacle horrible.
Le colonel gît sous les débris de son bureau, les membres disloqués, le visage méconnaissable. A ses côtés, les lieutenants Bailly et Bretteville. Le premier est décapité, le second, la poitrine défoncée a été tué sur le coup. Le commandant Martinelli semble sérieusement touché, mais il vit. Seul, presque indemne, le commandant Vadot, protégé par sa position un peu en retrait, a reçu une gerbe de petits éclats dans le thorax. Un quart d'heure après, le colonel mourait. »
Sa mort va avoir des conséquences funestes sur le sort de la bataille en cours, tout le système de défense de l'est de Diên Biên Phu étant décapité. Certes, le commandant Vadot, bien que blessé, prend aussitôt le commandement de l'unité, mais la contre-attaque pour dégager Béatrice ne pourra se produire. Béatrice, pendant ce temps, agonise.
A 22 heures, le lieutenant Carrière est tué. Ses légionnaires, une poignée de survivants, dont de nombreux blessés, se replient sur ordre, vers les positions de la 12e compagnie du lieutenant Nicolas qui tient Béatrice 2. Pour sa part, le lieutenant Turpin, blessé, est hors d'état d'assurer ses fonctions. A 23 heures, à son tour, la lère compagnie doit céder du terrain. Après cinq heures d'un combat intense, la moitié du PA Béatrice est aux mains des Viets. L'artillerie française, notamment la 2e CMMLE et la CEPML, assurent, depuis les collines de Dominique, des tirs de destruction sur les positions conquises, obligeant les Viets à se regrouper au creux d'un ravin entre Béatrice 1 et Béatrice 3. Là, après une heure de flottement, tous moyens réunis, les régiments 141 et 209 repartent à l'attaque des deux ultimes bastions, Béatrice 2 et Béatrice 4. Pour les contenir, il ne reste plus que des bribes des 9ème et 11 ème compagnies, soit 45 hommes au total et 102 survivants des 12e et 13 ème compagnies. En dépit de leur désespérante infériorité numérique, en dépit aussi du fait qu'il ne reste plus que deux officiers valides, le lieutenant Nicolas et le lieutenant Madelain, commandant la 10e compagnie, la résistance des légionnaires se raidit.
A minuit et demi, les sections d'assaut de Giap prennent pied au coeur du dernier bastion. Les légionnaires du 3/13e DBLE se préparent à bien mourir. A deux heure du matin, tout est fini. Les hommes, seuls ou par petits groupes, essaient de quitter ce qui fut Béatrice pour rejoindre Claudine ou Dominique. Parmi eux, le sergent-chef Blayer. « A peine le tir d'artillerie était-il levé que les Viets étaient déjà dans nos barbelés. Je suis allé prendre des ordres, mais le blockhaus du lieutenant Carrière était écroulé par des tirs directs de bazooka ou de SKZ. Le lieutenant lui-même était tué et les commandes des charges défensives hors service. J'ai essayé de prendre contact avec le lieutenant Jego, en vain. Et puis, je me suis retrouvé en face des Viets que j'ai accueillis à coups de "colt". Une grenade m'a explosé entre les jambes.
J'ai alors tenté de me frayer un passage de la 10e compagnie où se trouvait aussi le P.C du bataillon. Au passage, j'ai récupéré Quinard Mercks et quelques légionnaires. La liaison fut difficile il y avait peu de communications entre les pitons et les barbelés qui nous gênaient.
Mais nous sommes quand même arrivés à temps pour épauler les derniers défenseurs de la 10e compagnie, déjà submergés par les vagues d'assaut viets. Alors, nous nous sommes repliés, par la RP 41, vers Dominique. » Les Viets capturent le lieutenant Leude, médecin du 3/13e DBLE, seul debout au milieu des morts et des blessés. De Béatrice ne reviennent que "14 Légionnaires ", tous blessés, et qui, malgré tout, reprendront le combat au sein du 1/13e DBLE. Ils se battront a nouveau pour "Eliane" et pour "Huguette".
"La Bataille des collines"
Quinze jours ont passé, sinistres, marqués par le malheur. Deux points d'appui ont été encore perdus ou abandonnés aux Viets : Gabrielle, dans la nuit du 14 au 15 mars où ont été anéantis les 800 tirailleurs du 5/7e RTA malgré la contre-attaque de flanc du 1er BEP qui donne un répit à la garnison au prix de fortes pertes, et Anne-Marie, dont les Thaïs ont abandonné les positions sans combat. La CEPML s'emploie au profit des positions attaquées. Mais, repérée par les artilleurs viets, elle perd trois tubes de 120 sous les salves d'obus partant des crêtes environnantes. Le 23 mars, une contre-attaque de grande envergure est lancée sur les positions d'artillerie et de DCA proches du camp retranché. Outre des pièces d'artillerie aussitôt détruites, les Viets laissent sur le terrain plus de 500 morts et comptent environ un millier de blessés.
Le 25, Eliane est attaqué par deux bataillons de bo-doïs après une intense préparation d'artillerie. Le centre de résistance changera six fois de main avant que les légionnaires ne parviennent à rejeter l'adversaire. Pas de répit : le 29 mars, c'est l'attaque sur les collines de l'est, Dominique et Eliane. Scénario habituel : préparation d'artillerie, mortiers, puis assaut kamikaze » à 18 heures. Éliane 1 et Dominique 2 tombent ; Dominique 3 et Eliane 2 tiennent bon.
Le 30 mars, effectifs et approvisionnements recomposés, Giap repart à l'attaque. En quelques minutes, la 312 conquiert les Dominique, deux pitons qui commandent l'entrée de la position centrale. Plus au sud, la 316 coiffe Eliane 1 et tente l'assaut sur Eliane 2. Normalement, cette position devrait être la plus facile à réduire : c'est le plus petit, le plus étroit des pitons protégeant Diên Biên Phu à l'est. Et pourtant, Eliane 2 ne tombe pas ! Luciani court d'un emplacement à l'autre, écrit Erwan Bergot. Il est partout, il voit tout. Il a installé son PC dans la cave de l'ancienne villa du gouverneur, une sorte de bunker de béton, seule construction de ce type à Diên Biên Phu, avec une porte en fer capable d'arrêter un obus de 105. Il en a fait un fortin redoutable à partir duquel partent sans cesse des contre-attaques menées par sa dernière section de réserve, celle de Dumont, un jeune sous-lieutenant pour qui c'est le baptême du feu... Au milieu du fracas des grenades, de l'aboiement des mitraillettes, des cris éclatent, tout proches? Les Viets. Ils se sont infiltrés à la charnière des sections. Ils débordent la section Falsetti. De trou en trou, ils progressent comme des crabes, nettoient les résistances, entament leur montée jusqu'à portée de voix du blockhaus d'Eliane 2... ». L'irrésistible pression des Viets dynamisés par les victoires sur les collines de l'est est brutale.
Stoppée par l'acharnement d'une poignée de légionnaires du 1er BEP, envoyés à l'ultime seconde renfort des Marocains d'Eliane 2. On leur a dit de tenir et de s'accrocher, ils font école chez les Marocains .Ils tiennent grâce à l'énergie du lieutenant Luciani, de ses chefs de section, Rolin, Lemahieu, Falsetti ,Dumont, Romanzin. Toute la nuit, à un contre cent les légionnaires ne cèdent pas un pouce de terrain Ils font même mieux : alors que le TD 98 essaie de s'infiltrer entre les pentes d'Eliane et le Mont Chauve, Rolin contre-attaque avec une vingtaine de survivants et les rejette hors des barbelés. La bataille pour Eliane 2 vient de commencer. Elle va durer sans interruption pendant 107 heures. Bigeard, commande les contre-attaques défie Giap et donne la priorité absolue à Eliane 2.
Le 3 avril au soir, le capitaine Rastouil, qui commande Huguette 6, signale que les Viets sont alignés, en face de lui, prêts pour l'attaque. Il demande des renforts. En vain, les renforts meurent sur Eliane. Un message ne laisse guère de doute : "Tenez jusqu'au bout, sans espoir d'être secourus"
Face à deux régiments de la 308, la vieille garde de Giap, Rastouil ne peut opposer que 86 gradés et légionnaires. A la nuit, la bataille s'engage, féroce, inexpiable. De temps à autre, Rastouil obtient quelques maigres appuis d'artillerie, mais déjà au PC, Langlais a fait son deuil de la position. Au matin, le PC s'informe. Rastouil est épuisé, mais sa voix vibre quand il répond, laconique : « Huguette 6 est encore à nous >>. En entendant la voix de son capitaine, le chef de bataillon Clémençon, patron du 1/2e REI adresse un sourire empreint de fierté au lieutenant-colonel chargé de la défense de Diên Biên Phu. Ce dernier lui donne l'assurance qu'Huguette 6 sera défendue. Deux nuits encore, le point d'appui est attaqué. Sur le point d'être submergé, Rastouil lance sa dernière section réservée, celle du lieutenant François, jeune saint-cyrien qui se révèle un extraordinaire combattant. Aux côtés des vieux briscards comme Blayer, rescapé de Béatrice et de Weber, que les Viets laissent pour mort et qui ne devra la vie qu'à la fidélité d'un P.I.M. Le jeune officier se bat comme un lion et parveint a repousser les Viets.
A l'aube, les renforts arrivent : une compagnie du 1er RCP commandée par le capitaine Clédic, une légende de la guerre d'Indochine. Paras et légionnaires culbutent le régiment viet et le bloquent dans barbelés où l'artillerie le décime. On relèvera 800 cadavres viets sur le glacis du point d’appui. La nuit encore, la division repartira à l'assaut, une grave crise morale atteint les bo-doïs . Le 6 afin de préserver ses effectifs, Giap renonce aux attaques frontales. Il leur préférera la lente progression par des boyaux que creusent des armées de coolies décimées par l'artillerie française, mais toutes renouvelées. L'asphyxie des Huguettes commence elle ne s'interrompra plus. Le répit aura été de courte durée. Le 10 avril Bigeard réussit à reprendre Eliane 1, mais les Viets attaquent.
Il faut des renforts. Deux compagnies du ler BEP — celles du capitaine Martin et du capitaine Brandon — montent à l'assaut en chantant le chant du bataillon : "Contre les Viets." Survoltés, les bawouans des compagnies Guilleminot et Pham du 5e BPVN, talonnent les légionnaires et se ruent sur les Viets en chantant La Marseillaise. Dans le même temps, la 10e compagnie du capitaine Philippe , renforce la 4e compagnie du 1/2e REI commandée par le lieutenant Bourges sur Huguette 1. La position commençait à être investie par des tranchées VM venant de l'ouest, précise le Général Philippe. Chaque jour, les éléments du 1/2REI entreprenaient des interventions armées de protection des travailleurs pour reboucher les tranchées Véritables opérations de détail menées bien souvent avec le concours des chars et de l'artillerie. Le 11 avril, au nord d'Huguette 1, avec un renfort de la 1ère section de la 10e compagnie, du 1/2 ème RE Ie lieutenant Legros tente d'ailleurs d'aller combler une fois de plus les tranchées qui, chaque nuit, progressent vers les points d'appui. Elle est attaquée violemment par un ennemi nombreux et agressif. Alerté par le commandant du 1/2e REI de la gravité de la situation le restant de la 10e compagnie , des éléments du 1/2e REI appuyés par deux chars et l'artillerie contre-attaquent . Les pertes sont sévères notamment le lieutenant Legros et une partie de la section sont portés disparus... La contre-attaque a dépassé le lieu de l'accrochage de plus de cent mètres . Les tranchées V-Minh ont été nettoyées, occupées, fouillées, aucune trace des disparus.
La bataille pour Huguette 1 se poursuivra jusqu'au 23 Avrils et la relève par la 4 ème compagnie du 1/13eme DBLE faite de coups de main, d'attaques et de contre-attaques, d'opérations de ravitaillement et de comblement des tranchées que creusent inlassablement les Viets . Le 10 avril, puis dans la nuit du 11 au 12 un nouveau bataillon de Légion est parachuté sur Dien-Bien-Phu par petits paquets. IL s'agit du 2ème BEP du Commandant Liesenfelt . Ses pertes sont sévères dès qu'il touche le sol . Le Major Mallet se souvient de ce saut "Sergent-chef a la la section des transmissions du 2ème BEP, j'ai sauté sur Dien-Bien-Phu dans la nuit du 9 au 10 avril 1954. Pris a partie par la DCA, notre avion a du faire deux passages... Le major Mallet, alors transmetteur au 2e BEP.
A la tête du deuxième stick. Accueilli par des légionnaires du 1/13e DBLE en limite des barbelés de Claudine, je fus dirigé sur le lieu de regroupement du PC et de la CCB dans les tranchées du 8e BPC. Toute la nuit j'écoutai avec surprise et inquiétude le bruit incessant des mortiers et de l'artillerie viets. Bien qu'en Extrême-Orient depuis juin 1951, c'était la première fois que je me trouvais pris sous un tel déluge de feu. La nuit suivante, le PC et le reste de la CCB nous rejoint. Le lendemain, le groupe de protection du sergent Braun était entièrement anéanti par un seul obus alors qu'il se regroupait dans un ancien emplacement de mortier. » A peine au sol, les deux premières compagnies sont engagées dans un combat très dur sur les pentes d'Eliane 1. Eliane 1 est un objectif important en l'état de la bataille, une position décisive pour qui la tient. Les Viets le savent et, dès le soir du 11 avril, ils repartent à l'assaut des deux maigres compagnies chargées de tenir la position. En clair, Charles et Minaud, les deux capitaines appellent à l'aide ; tout ce que Diên Biên Phu compte de volontaires « disponibles » et aptes à combattre se rue à la rescousse. Les compagnies Pétré et Lecour-Grandmaison du 2e BEP s'élancent en tête. A minuit, les derniers Viets se retirent du sommet. Pour les Français, la reprise d'Eliane 1 constitue un succès, même si, pour conserver le PA, les unités de parachutistes et de Légion qui s'y succèdent, fondent comme neige au soleil tant les combats, les escarmouches, les accrochages y sont nombreux, quotidiens et acharnés.
Acharnés aussi les accrochages pour ravitailler Huguette 6 toujours isolé en bout de terrain. Il s'avère bientôt évident qu'il sera bientôt impossible d'effectuer même la liaison indispensable à la survie matérielle des quelques légionnaires encore vivants, cramponnés à leurs blockhaus en ruine.
Le 15 avril, la mort dans l'âme, le colonel Langlais donne l'ordre d'évacuer ce point d'appui. Mais en dépit des efforts consentis par ceux qui ont la charge de recueillir les assiégés d'Huguette 6, l'évacuation ne peut être réalisée. Alors, le capitaine Bizard, ses parachutistes et les légionnaires comprennent que le salut ne peut venir que d'eux-mêmes. Il faut ou se rendre, ou tenter une sortie ; percer le dispositif viet, se replier avec leurs seuls moyens. Bigeard n'hésite pas. Il donne ses ordres et, à son signal, tous sortent de leurs trous, bousculent les Viets surpris, font éclater l'étau et se lancent dans une course folle et meurtrière vers les lignes amies, cinq cents mètres au sud. Quand on fera le bilan des pertes, il s'avérera très lourd sur 300 légionnaires et parachutistes qui ont tenu Huguette 6, 106 ont été tués, 49 blessés et 79 ont disparu au cours de l'ultime percée. La perte de cette nouvelle position économise certes des vies humaines inutilement sacrifiées. Mais elle permet aux Viets de faire un bond en avant de près de 400 mètres en direction du réduit central. Autant dire que la moitié nord de la piste d'aviation est irrémédiablement aux mains des Viets et que le problèmes posés par le parachutage du ravitaillement compliquent au point de devenir insolubles à partir du 15 avril, 30% du matériel tombe périmètre défendu par les Français. Du 16 au 18 avril, des avions larguent les volontaires et parmi eux, nombreux sont les légionnaires , des unités du Tonkin qui, fièrement, disent aux assiégés dont ils vont partager le destin Quand le commandement a demandé des volontaires pour être parachutés, tous les bataillons Légion ont répondu : Bataillon "au complet prêt pour sauter".
Ces derniers proviennent essentiellement des 3e et 5e Etranger " Après un entraînement sommaire", une dernière soirée en ville et les provisions de cigarettes et de cognac pour les copains qu'on va retrouver dans la cuvette, direction Gia-Lam ou les Dakotas attendent. Le sergent-chef Dupont s'équipe et embarque pour son premier saut : Dans l'avion, à la porte, un connard hésite . La DCA ennemie, bien réveillée cette fois, crache de tous ses tubes. Explosions traçantes, gerbes, étincelles, la carcasse métallique vibrait. Les yeux fixés sur la lampe. Clignotement. Go !
La gaine, poussée, bascula, Maurice sautait, je fonçais derrière lui, un pied dérapant à peine de Choc à l'ouverture, puis impression de douceur, de balançoire. Je regardais la corolle au-dessus émerveillé et satisfait d'apercevoir celle des copains, mais elles étaient illuminées par une luciole, fruit sans doute de la fatigue d'une sentinelle saisie par la brusque violence de l'artillerie antiaérienne. Les traçantes montaient lentement vers moi, boules roses d'une grande intensité lumineuse, s'accélérant a mon approche et me croisaient à une vitesse folle ; Vu d'en haut, avec une inconscience toute passagère, c'était un spectacle "son et lumière" tout à fait irrationnel. "Et qui est là pour m'accueillir ? FALSETTI, qui apprécie ma bonne bouteille ! Les renforts sont embrigadés immédiatement, pas de répit pour eux. La bataille c'est tout de suite. L'effort ennemi porte maintenant sur Huguette 1 qui se trouve désormais en première ligne l'investissement de la position commence aussitôt , de jour en jour, les progrès des circonvallations se rapprochent du PA. Si le 15 avril, pour ravitailler les légionnaires de Rastouil, une section de 60 PIM était suffisante, deux jours plus tard, Huguette 1 est inabordable même avec une compagnie. Par radio, Rastouil, qui ne dispose plus que d'une poignée de légionnaires, demande des renforts. Pour l'Etat-Major, Huguette 1 est le PA de la dernière chance, si il tombe, les Viets ne seront plus qu'à 800 mètres du centre de Diên Biên Phu. Interrogé, le commandant Clémençon montre l'état de ses effectifs squelettiques, et de plus, grevés par la nécessité de tenir les trois derniers Huguette. Alors, on adresse a Vadot le commandant de la 13 Demi-Brigade de Légion-Etrangère, en fait un seul bataillon, déja bien entamé.Vadot désigne la 4ème Compagnie du capitaine Chevalier.
A l'aube du 17 avril, Chevallier se glisse, par les tranchées d'accès à la hauteur d'Huguette 3, au sud de objectif. Il aura environ 300 mètres de glacis à franchir à découvert, avant d'aborder les premiers blokhaus ennemis, qu'il lui faudra détruire pour sauter dans les barbelés d'Huguette 1 et s'y enfermer. Ses Légionnaires sont calmes et décidés.
En plus de leur armement, de leurs munitions, ils transportent aussi des jerrycans d'eau potable : ils savent qu'une fois sur place, ils ne devront plus compter que sur eux-mêmes. L'attaque démarre, précédée d'un tir d'artillerie. Très vite, les légionnaires de la « 4 » sont au contact. Il ne leur faut pas moins de trois heures pour percer les lignes adverses, faire sauter les blockhaus, et contraindre les bo-doïs à livrer le passage. A 10 heures du matin seulement, après quatre heures d'effort, les premiers éclaireurs du capitaine Chevalier parviennent auprès de leurs camarades du 1/2e REI. Ceux-ci entament aussitôt leur repli, ils n'arriveront au réduit central qu'au milieu de la nuit en ayant subi de nouvelles pertes. De son côté, la 4e compagnie s'organise. Les Viets ne laissent aucun répit aux légionnaires qui défendent leur vie. Dès la tombée du jour, les premières sections ennemies sont à pied d'oeuvre, à vue directe. Ils ne montent pas à l'assaut, ils creusent, comme en 1916. Un travail acharné, méthodique de taupes laborieuses ; les boyaux avancent inexorablement. Ils passent sous les réseaux de barbelés, ils disparaissent brusquement pour s'ouvrir dans le flanc même des tranchées françaises. Les Viets surgissent alors comme les rats d'une tuyauterie crevée. Ils sortent par dizaines, de tous côtés à la fois.
Un rescapé, "le seul", Joseph Unterleschner, racontera que toutes les nuits, les légionnaires avaient l'impression d'être englués dans une marée humaine. Alors, Chevallier, chaque fois qu'il le peut, demande à l'artillerie, aux mortiers lourds de la Légion d'expédier leurs tirs en limite de périmètre, transgressant allégrement le règlement de l'artillerie qui interdit les tirs à moins de 400 mètres des positions ennemies. Mais Diên Biên Phu n'avait pas été prévu par les manuels !
Tous les matins, jusqu'au 22 avril, le colonel de Castries qui va devenir général dans les prochaines heures s'informe de la situation du capitaine Chevallier et de sa 4e compagnie. Et tous les matins, la réponse est la même : "Chevallier tient toujours".
Il tient sans vivres, sans eau, sans ravitaillement d'aucune sorte. A Dien Bien Phu, sur, les pitons d'alentour, la résistance des 40 survivants de la 4e compagnie prend figure de symbole. Elle résume à elle seule l'opiniâtreté des défenseurs du camp retranché. Souvent, dans la journée, par radio, les compagnies des deux BEP qui luttent pied à pied sur les Éliane envoient leurs encouragements aux légionnaires de Chevallier. Tous les soirs lorsque tombe la nuit, les Viets sortent de leurs trous. Pour lutter contre eux, les défenseurs ont mis au point une tactique : ils tuent le premier, lui prennent ses grenades, des engins chinois enrobés de plastic et pourvu d'un manche, et l'enfournent dans le trou avant de faire sauter le tout. Pulvérisé par les mines, les obus, les explosions, le sol de Huguette 1 est devenu comme une surface mouvante où l'on s'enfonce dans la boue jusqu'aux chevilles. C'est dans ce bourbier que, trois jours encore, jusqu'au 22 avril au soir, les survivants de la 4e compagnie du 1/13e DBLE vont se battre jusqu'au dernier.
Le 22 avril, à 23 heures, le poste de radio cesse brusquement d'émettre. Sans eau, sans vivres, sans munitions, Chevallier et ses hommes ont tenu six jours et sept nuits face à trois bataillons ennemis relevés tous les jours. Toute la nuit, Vadot et Langlais ont espéré, attendu, souhaité un signe indiquant que rien n'est perdu. Rien ne s'est produit, hormis, au petit matin, le retour d'un légionnaire. Un seul. Il s'appelait Unterleschner. Au général de Castries, qui a tenu à l'interroger, il a raconté qu'Huguette 1 n'a pas été submergé par une attaque générale, mais miné de toutes parts, le point d'appui a sombré quand le colmatage des sapes n'a plus été possible. Les défenseurs ont été noyés par le flot des assaillants.
La dernière image qu'il a retenue fut celle de son capitaine seul, debout, sur le toit de son PC, englouti sous un amas d'uniformes noirs, comme un commandant de navire sombrant en haute mer. A l'aube, le colonel Langlais a convoqué le commandant Liesenfelt. Dernier arrivé des unités parachutistes, le 2e BEP parait moins éprouvé que les autres unités parachutistes et c'est pour cette raison qu'on lui demande de reconquérir la position perdue. Si on ne récupère pas Huguette 1, dans moins de trois jours, les Viets seront aux portes du réduit central. D'un commun accord, Liesenfelt et Langlais conviennent que l'heure H sera fonction de l'appui aérien. Mais auparavant, il faut rassembler le bataillon, éparpillé sur de nombreuses positions. En fait, la relève du 2e BEP concerne 14 compagnies ! Par ailleurs, tout déplacement en dehors des tranchées étant pratiquement impossible, et déconseillé en plein jour, les délais d'acheminements deviennent importants. Pour couvrir par exemple la distance qui la sépare de sa base d'attaque, la 5e compagnie, partie d'Eliane 2 à 10 heures et demie du matin se regroupera sur Huguette 2 à 13H30.
La 6e compagnie, qui n'a été relevée qu'à partir de 13 heures, ne sera regroupée sur ses positions d'assaut qu'à 16 heures ! Malheureusement, le commandant Liesenfelt n'ayant pas été consulté sur les horaires, ce dernier s'aperçoit que le bombardement des B 26 a lieu à 13H00, prématurément. Autant dire qu'il ne sert à rien. L'artillerie se déclenche elle aussi avec une demi-heure d'avance et épuise en moins de cinq minutes la dotation de munitions prévue pour écraser les positions ennemies. Les légionnaires parachutistes vont malgré tout s'élancer à l'attaque ; mais à 14H30, c'est à dire bien après que les Viets, d'abord surpris, aient eu largement le temps de se réorganiser.
La 5e compagnie prend pied dans les tranchées à la hauteur d'un Curtiss-commando détruit le 13 mars et constitué depuis le matin en nid de mitrailleuses VM. Pour leur part, les 7e et 8e compagnies tentent de traverser, à découvert, d'est en ouest, la piste d'aviation.
Elles éprouvent aussitôt des pertes très sévères ; le lieutenant Garin est blessé, mais, pour éviter aux légionnaires de risquer leur vie en le ramenant, il se tire une balle dans la tête ; le capitaine de Biré est fauché aux jambes, le capitaine Picatto, envoyé pour le remplacer, est tué en arrivant au PC de la compagnie.
L'attaque tourne au massacre
A 16H30, ordre de repli. A 18 heures, regroupement sur Huguette 2. Effectif de la 6e compagnie 43 Légionnaires. Le lieutenant de Biré est évacué sur l'ACP. Durant le combat, le caporal Zabrowski, les légionnaires Giovatti, Benz, Teichert, Gross, le sergent Czoska, les parachutistes vietnamiens matricule 1510, 1447,et 1461 sont blessés. Le légionnaire Edelmann Le sergent Perrusset et le légionnaire Gonzerowski sont portés disparus. » Alors, la mort dans l'âme, Liesenfelt demande au PC l'autorisation de décrocher sous le parapluie de l'artillerie. Le 2e BEP déjà très éprouvé a 76 tués en quelques heures de combat.
Il est, dès le 24 avril, amalgamé aux restes du ler BEP, l'ensemble placé sous les ordres du commandant Guiraud devenant le « Bataillon de marche de parachutistes étrangers».
Pendant une semaine encore, la garnison de Biên Phu tente d'endiguer les infiltrations incessantes des boo-doïs de Giap. Il n'y a, à vrai dire, aucune attaque d'envergure, la « bête est encore dangereuse » comme l'affirme le général de la 312, mais un inexorable grignotage qui use les unités et tous les jours un peu plus la liste des tués, encombrant les infirmeries et les tranchées.Depuis le 20 avril, il pleut sur la cuvette de Dien-Bien- Phu où l'eau s'accumule et monte. C'est la pluie implacable de la mousson dans sa régularité annuelle. Mais qui, à la création du camp retranché, pouvait imaginer la durée du siège ? Tous les points d’appui, les centres de résistance sont minés par les eaux. Les cadavres gonflent et se décomposent dans une odeur pestilentielle, les munitions sont humides comme sur la Somme durant la Grande Guerre, les boyaux s'éboulent et les hommes pataugent dans la boue, tandis que gronde le tonnerre de la préparation d'artillerie pour un prochain assaut viet.
Camerone arrive
Fêté un peu partout dans les constances que l'on devine, et se borne à la lecture du récit du combat. Sauf peut-être la 2e compagnie de la 13e DBLE qui parvient à célébrer dignement ce 30 avril en récupérant, au prix d'un bref combat, une boîte de "vinogel" à la barbe des Viets. Curieusement, ces derniers renoncent à attaquer ce jour-là. Ils n'attaqueront pas plus, d'ailleurs le 1 er mai, fête traditionnelle du travail qui verra les tranchées viets se couvrir d'une multitude de drapeaux rouges ,tandis que des hauts parleurs appellent à la reddition et à la paix des peuples.
C' est la dernière trêve. En effet, dès le début de la nuit suivante, les trois divisions de Giap lancent l'offensive générale. Quinze jours durant, entre le 15 et le 29 avril, des renforts ont été acheminés à travers les pistes de jungle, vers Diên Biên Phu et les premiers prisonniers capturés aux abords d'Huguette 3 avoueront ne posséder qu'un mois de service dont la majorité de marche. Les troupes vietminh comptent 36 000 fantassins. En face, la garnison ne peut en aligner que dix fois moins dont à peu près 600 légionnaires.
- La 13e DBLE, le 1er et & 3e bataillons confondus en compte 176
- le 1/2e REI, 223
- les deux BEP, 307
- le 3/3e REI présent sur Isabelle, n'est pas inclus dans ce décompte
Ils sont répartis, au hasard, dans des positions de groupe, de section, aux abords du réduit central : 75 sur Huguette 3, 93 sur Huguette 2, 118 sur Eliane 10, etc. Pour Giap et son état-major, l'attaque du 1 er mai au soir est l'assaut décisif et, sans aucun doute, les divisions 308, 312 et 316 escomptent-elles parvenir à leur fin avant le jour.
Fatale erreur, car dès le 2 mai, l'attaque est contrée sur tous les fronts. Les 2 et 3 mai, c'est presque une accalmie. Durant deux nuits s'opère le largage d'une partie de l'ultime bataillon para, le ler BPC. II ne vient que pour s'engloutir dans la fournaise. Dirigées sur Eliane 2, les 2e et 13e compagnies qui reçoivent la mission de relever !les survivants du 1/13e DBLE, sont accueillies par le commandant Coutant. Il restera pour passer les con signes... et sautera avec la sape de 200 kg d'explosifs creusée sous la colline, s'envelissant avec la compagnie Edme. Les heures sont comptées. Les Viets progressent partout. Le 4 mai à 5 heures du matin, la compagnie Stabenrath du 1 er BEP, qui comprend aussi quelques hommes du 1/2e REI et du peloton d'élèves gradés de la « 13 » est anéantie sur Huguette 3.
Le 5 mai, c'est la fin d'Eliane 1 et de Dominique. D'ultimes renforts sautent sur Diên Biên Phu, "pour l'honneur", les copains, la fraternité d'armes. Le 6 mai, le 1/13e DBLE du commandant Coutant se bat sur Eliane 2. Les Viets font sauter une sape sous les pieds des défenseurs après avoir fait donner un concert d'orgues de Staline toutes neuves, lesquelles rappellent à de nombreux légionnaires allemands, dans ce narthex de l'enfer, les pénibles souvenirs d'autres combats tout aussi désespérés. Il n'y a plus rien entre les Viets et le PC GONO. Dans la nuit du 6 au 7 mai, Eliane 2, puis Eliane 10 et 4, les points d'appuis de la plaine, entre collines et rivière, sont submergés à leur tour. A 10 heures du matin, les rares survivants parviennent à franchir la Nam-Youn, avec parmi eux, les légionnaires du sergent Kubiak, l'un des rescapés de la 9e compagnie de Béatrice 1.
C'est fini. A 17h30, la garnison de Diên Biên Phu cesse le feu. Un lourd silence s'abat sur la plaine où, pendant 57 jours et 57 nuits les soldats de l'Union française ont lutté héroïquement jusqu'à la mort et où plus de 5 000 légionnaires ont fait face à l'armée du général Giap.
Seuls les légionnaires du 3/3e REI, montrant la voie à la garnison du centre de résistance Isabelle, résisteront encore huit longues heures, livrant un dernier combat sans issue à un contre cent. Submergés eux aussi par la masse viet, ils rentreront dans la légende aux côtés de leurs camarades de la portion centrale de Diên Biên Phu. Le centre de résistance Isabelle, chargé de défendre la piste auxiliaire d'aviation et d'appuyer le camp retranché au profit du GONO, constitue une garnison puissante qui a repoussé les assauts viets, certes moins appuyés, pendant toute la bataille. Ce centre de résistance est constitué par quatre points d'appui principaux, disposés en rectangle autour d'un réduit central abritant le PC, l'antenne médico-chirurgicale, les dépôts et les services. Il est situé dans un secteur marécageux sur la rive gauche de la Nam-Youn, avec, sur la rive droite un cinquième PA, Isabelle 5, plus souvent appelé « poste Wiène », du nom du lieutenant qui le commande. Dans sa plus grande longueur, l'ensemble représente moins d'un kilomètre. Son chef, le colonel Lalande, et son adjoint, le commandant Hel, disposent d'une forte garnison composée du 3/3e REI commandé par le chef de bataillon Grand d'Esnon, du 2/1 er RTA, du 3/10e RAC, des 431e, 432e et 434e compagnies de supplétifs thaïs. Au cours de la bataille, la garnison recevra le renfort de 250 Thaïs du BT 3 qui n'ont pas abandonné Anne-Marie, de 150 tirailleurs du 5/7e RTA rescapés de Gabrielle. Avant le déclenchement de la bataille, le 13 mars, les appuis ont été étoffés avec une batterie de 12 tubes de 105 supplémentaires et un peloton de 3 chars Chaffee M 24 commandé par le lieutenant Préaud.
A partir de la mi-avril, les Viets se font de plus en plus pressants et, le 29 avril, ils atteignent le premier réseau de barbelés et se préparent à l'assaut. Le 30, ils parviennent au second réseau. Malgré un feu violent, les légionnaires et les tirailleurs tiennent bon : après une contre-attaque rageuse, ils nettoient et rebouchent les tranchées. Mais un nouvel assaut massif se prépare. Vers 16 heures, l'artillerie viet se déchaîne sur tous les PA. Le PA Wiène succombe dans la nuit sous une avalanche de bo-dooïs, le lieutenant Sciauve et toute la petite garnison sont massacrés. Toutefois, le samedi ler mai à l'aube, le capitaine Fournier qui commande la 11 e compagnie du 3/3e REI mène une contre-attaque qui permet de reprendre la position, mais il est blessé à l'épaule gauche. Les jours suivants et jusqu'à la fin, la position mais il est blessé a l'épaule gauche.
Les jours suivants et jusqu'a la fin , la position tombera "toutes les nuits"...et sera reprise "tous les matins" occasionant a chaque fois des pertes importantes . Encore quelques jours a ce rhytme , et le PA. Wiène ne compte plus qu'un effectif de 3 compagnies thaïs squelettiques, la section de légionnaires du sous-lieutenant Planet, environ 80 tirailleurs du 7/7e RTA et quelques sous-officiers blessés ou isolés.
Ce même 1 er mai, à 21 heures, une terrible préparation d'artillerie viet s'abat sur Isabelle. Les bo-doïs du régiment 57 se jettent sur les défenses ouest. Les mortiers tirent des obus éclairants et l'aviation lâche des paquets de lucioles pour éclairer le champ de bataille. Les B 26 appuient du mieux qu'ils peuvent les défenseurs d'Isabelle en déversant du "napalm" et en larguant de terribles bombes américaines "Hail-Leaflet" bourrées de minuscules harpons aux pointes acérées. Le dimanche 2 mai, à 2 heures du matin, le PA ouest est perdu.
A 4 heures, celui de l'est est submergé. La situation est critique. Le colonel Lalande décide de contre-attaquer ; le commandant Hel monte l'opération avec deux compagnies du 3/3e REI : la 9e compagnie du lieutenant Rossini et la 10e compagnie du capitaine Mazaud ; deux compagnies du 2/1er RTA : la 5e compagnie du lieutenant Tymen et la 6e compagnie du capitaine Buchazeau, et le peloton de chars du lieutenant Préaud.
A midi, toutes les positions sont reconquises ; les Viets comptent environ une centaine de morts. Dans l'après-midi, les capitaines Carré et Gendre, à la tête d'un détachement de tirailleurs du 5/7e RTA, le capitaine Pigeon, du 2/1er RTA avec la 7e compagnie du lieutenant Choulet partent pour une mission de reconnaissance au sud d'Isabelle pour trouver une sortie possible vers le Laos en suivant le cours de la Nam-Youn vers le sud. Ils ne rencontreront aucune résistance et rentreront sans problème à Isabelle. Le lundi 3 mai, avec le soutien d'une artillerie qui tonne sans arrêt, les assauts en rangs serrés se succèdent, provoquant des pertes de plus en plus lourdes parmi les défenseurs des PA ; les Viets s'infiltrent partout ; ils ne sont repoussés qu'après de furieux corps à corps. Le refus de capituler ou de se laisser anéantir est la seule alternative, le seul choix qui reste aux survivants de pouvoir se dégager en direction de la partie sud-sud-est de la cuvette de Muong-Nha, puis de là, vers Ban-Tha-Mot, Muong-Heup, Muong-Ngoï et Ban-Tha-Khane, avec une zone de recueil dans la région de Muong-Son. Le mardi 4 mai, les Viets continuent leurs tirs de harcèlement. Comme à la portion centrale, les pluies torrentielles détrempent l'ensemble des positions. Sans répit, les légionnaires mènent des attaques contre les tranchées, surtout sur la face ouest du CR. Le mercredi 5 mai, la pluie ne cesse de tomber, favorisant les attaques ininterrompues des Viets qui éprouvent fortement les défenses. Les effectifs diminuent rapidement et les rescapés luttent sans espoir.
Le vendredi 7 mai, dans l'après-midi, l'artillerie des deux camps se tait. Les bo-doïs sont imbriqués aux survivants français. Au PC GONO, on se prépare a l'inéluctable. Bigeard et Langlais envisagent la possibilité d'une sortie vers le sud, c'est à dire vers Isabelle qui tient toujours . Mais les hommes sont vidés chances sont faibles. Vers midi, l'observation , profitant d'une accalmie, décèle l'occupation de trois lignes de tranchées coupant la piste et le terrain la séparant d'Isabelle.
C'est fini le piège s'est refermé !
Après un échange de messages radio, Cogny ordonne à de Castries : Feu de toutes les armes sur les positions ennemies, jusqu'à épuisement des munitions, destruction des pièces d'artillerie, des appareils de transmissions, des deux chars, et arrêt de toute activité à 17h30. Attendre dans la dignité l'arrivée des Vietminh. Et il ajoute pas de drapeaux blancs, ce que vous avez fait est trop beau. Je répète, pas de drapeau blanc.
A 18 heures, l'ennemi déboule de partout des tranchées, dans les positions bouleversées les sapes, les antennes médicales et les hopitaux souterrains , sans réaction de la part de nos unités .Surpris, les Viets se méfient, mais continuent leur progression. Ils comprennent en voyant les hommes sans armes, qui ont rassemblé leurs maigres paquetages . Dans une immense clameur, les bo-doïs submergent Diên Biên Phu ; bientôt, l'emblème vlet flotte sur Eliane.
Mais Isabelle n'est pas encore tombé et résiste toujours désespérément. A 17H00, Lalande a reçu le message de Cogny lui demandant ce qu'il envisage pour la nuit à venir. A Isabelle, on n'apprendra Ia chute du camp retranché qu'à 18 heures. Une demi-heure plus tard, l'artillerie viet se déchaîne sur Isabelle et des tirs très violents font sauter les dépôts de munition ,coupent les lignes téléphoniques et mettent le feu à l'antenne chirurgicale. La radio vietminh émet sur la longueur d'onde du centre de résistance, pour conseiller aux défenseurs de se rendre, le reste de la garnison ayant été capturé.
"Le Chant des Partisans" fait grincer des dents ceux qui connaissent le rôle du parti communiste français dans la tragédie indochinoise. Toutefois, le drapeau français flotte toujours sur Isabelle et le colonel Lalande peut encore tenter une sortie.
A 19 heures, il fait le point de la situation avec le commandant Hel et les commandants de bataillons et les commandants d'unités valides pour déterminer la tactique à adopter pour tenter de s'échapper vers le sud et rejoindre la colonne Crèvecoeur qui doit arriver du Laos. L'armement et le matériel sensible sont détruits ainsi que les codes et les archives.
Les hommes conservent les armes collectives et individuelles dotées de deux unités de feu. Le reste est abandonné. Le coeur serré, il faut abandonner les blessés graves à la garde des médecins : le capitaine Calvet et les lieutenants Pons, Rezillot et Algne, et de leurs infirmiers. L'antenne chirurgicale compte Mors 62 blessés couchés et une centaine qui peu-vent tout juste s'asseoir. Le lieutenant Wiène abandonne Isabelle 5 qu'il a tenu jusqu'à la dernière minute et rejoint le gros de la garnison. Puis le colonel Lalande donne son ordre de progression ; la garnison sera scindée en trois groupements :
Sous les ordres du commandant Hel, le premier groupe comprend la 12e compagnie du 3/3e REI du capitaine Michaud avec, comme éclaireurs, les rescapés des compagnies thaïs du lieutenant Wiène. Le deuxième groupe, commandé par le chef de bataillon Grand d'Esnon suit avec la 11e compagnie du 3/3e REI, Préaud et ses chasseurs, et les tirailleurs des 2/1 er RTA et 5/7e RTA.
Le colonel Lalande quitte Isabelle le dernier à la tête d'un groupe constitué des 9e et 10e compagnies du 3/3e REI et des artilleurs du 3/10e RAC.
A 20 heures, guidé par les Thaïs, le premier groupe tente de s'évader par la rive droite de la Nam-Youn en suivant ses méandres. Les liaisons radio sont difficiles et il est impossible de suivre sa progression. Seuls les accrochages permettent de dire qu'il est tombé dans des embuscades. Le commandant Grand d'Esnon suit un itinéraire entre la piste et la rive gauche de la rivière. Vers 21 heures, n'ayant rencontré aucune résistance, on peut penser qu'il a réussi.
C'est Camerone !
Les Viets sont à moins d'une centaine de mètres des positions et attendent. Ce face à face dure jusqu'à une heure du matin le 8 mai. Un petit groupe de soldats ennemis parlant français demandent à rencontrer le colonel Lalande pour lui signifier que toute résistance est désormais inutile. Plutôt que de risquer un massacre qui n'aurait aucune raison militaire, le colonel accepte de se rendre.
A 01 h50, les Viets reviennent en force, investissent la position et capturent les survivants. Le colonel Lalande, les commandants Hel et Grand d'Esnon, ainsi que les officiers valides du 3/3e REI sortent du PC, képi de la Légion sur la tête, sans armes, prêts pour la longue marche qui les mènera au camp n° 41. A 12 000 kilomètres des lieux du désastre, à Sidi Bel Abbès, les jeunes légionnaires du 1er Etranger ont été rassemblés sur la place d'armes, de part et d'autre de la voie sacrée dominée par le monument aux morts. D'une voix qu'il veut ferme, mais qui trahit son émotion, le colonel Gardy lit un communiqué d'une brièveté tragique :
Diên Biên Phu vient de tomber. Nous sommes réunis pour rendre hommage au sacrifice de ceux qui sont tombés au cours de cette lutte épique.
Nous allons présenter les armes aux drapeaux qui ont disparu dans la bataille. Un silence. Puis, plus forte, la voix s'élève, appelant comme au rapport : Les 1 er et 3e bataillons de la 13e DBLE ; le 3e bataillon du 3e REI, le 1er bataillon du 2e REI, les 1 er et 2e bataillons étrangers de parachutistes... Un silence encore.
L'histoire a oublié le sacrifice des Légionnaires Dans une société égoïste entièrement tournée vers elle-même . Le sacrifice de ces Etrangers , Français par le sang versé , et non par le sang reçu s'est dilué dans le temps .
"Morts pour une chose morte"
Legio Patria Nostra
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